samedi 26 novembre 2011

The wildest: Louis Prima

Amateurs exclusifs de Lee Konitz ou d' Albert Ayler, ne lisez pas ce papier, ce n'est pas pour vous ( je reconnais ses qualités à Lee Konitz et j'ai de l'inclination pour certains aspects de l'oeuvre d' Albert Ayler ). Nous avons tous une faiblesse pour un artiste qui ne rentre pas dans le cadre de nos goûts habituels ; avouons le sans honte. Pour ma part ma faiblesse cachée s'appelle Louis Prima. Bien sur ce nom vous dit quelque chose et le quelque chose est vraisemblablement « Just a gigolo » , auquel vous n'avez pas pu échapper . Peut être également,en vos jeunes années, avez vous vu le Livre de la Jungle de Walt Disney et vous n'avez pu vous empêcher de vous trémousser quand le roi des singes – King Louie- entraîne toute la troupe dans une swinguante sarabande infernale, sur l'air de I wanna be like you. C'est bien sur encore Louis Prima qui prête sa voix et sa trompette au personnage.


Pour ma part je devais avoir quelque chose comme seize ans quand, sans doute sur les conseils avisés d'un aîné, je me suis rendu acquéreur d'un 45 t. d'occasion dont la pochette était celle là :


C'était bien sur mes premiers contacts avec le Jazz et ils étaient du coup particulièrement jubilatoires. J'ai joué le disque sur mon pick up ( just a gigolo sur une face, Night train sur l'autre ) un nombre incalculable de fois, jusqu'à le connaître par cœur.

Je vous parle de Louis Prima car je suis en train de lire sa biographie, celle là ( assez facile à trouver mais malheureusement non traduite en français à ce jour ) :


Né en 1910 à la Nouvelle Orléans, Louis était musicalement un épigone d'un autre Louis de la cité du Croissant, Louis Armstrong évidemment. Il n'en possédait ni le génie ni l'envergure et aurait pu demeurer dans l'ombre avec les nombreux autres imitateurs de Satchmo s' il n'avait eu des qualités spéciales.

Tout d'abord Louis Prima était un génial homme de spectacle et un entertainer né. Bête de scène il passera sa vie à se produire chaque soir avec sa troupe parfaitement rodée. Véritable éponge des courants musicaux du temps il créera un style bien à lui, mixant le Jazz traditionnel de la Nouvelle Orléans, le Swing des big bands des années 40, les choeurs doo-wop, le shuffle du R&B et la gouaille italienne de ses racines siciliennes.

Le swing contagieux est le maître de mot de Prima. C'est lui par exemple qui a écrit le fameux Sing, Sing, Sing popularisé par Benny Goodman et Gene Krupa.

Pensionnaire à vie des meilleurs clubs de Las Vegas, Louis Prima s'entourera de deux personnalités complémentaires : Son épouse de l'époque la très bonne chanteuse Keely Smith qui sur scène par un comportement quasi hiératique jouait l'antithèse du perpétuel agité Louis Prima ; Et le très bon saxophoniste ténor, chef d'orchestre et arrangeur Sam Butera, suiveur d' Illinois Jacquet, et son orchestre The Witnesses.

Le bouquin n'est pas passionnant mais donne un aperçu intéressant de la vie du Las Vegas de l'époque avec l' imbrication étroite des vedettes italo américaines, Frank Sinatra, Louis Prima, Dean martin ( Dino Martino ) avec la mafia qui contrôlait tout le système. Marié cinq fois Louis Prima avait accumulé les pensions alimentaires et était obligé de maintenir un rythme effréné pour faire face à ses obligations. Tout s'arrêtera en 1975 quand, opéré d'une tumeur au cerveau, il tombera dans un coma qui durera trois ans, jusqu' à sa mort en 1978.

Une illustration musicale avec des extraits de ses nombreux passages à la télé, dont inévitablement Just a gigolo :



Un peu de Keely Smith en solo. Divorcée de notre héros Keely lui survivra ( elle doit toujours être de ce monde ) et reprendra une carrière soliste dans les années 80.


Enfin du Sam Butera comme si vous y étiez :


L'univers intemporel de Louis Prima ne pouvait manquer de susciter des vocations et, de fait, il a un héritier direct : le saxophoniste ténor et chanteur anglais Ray Gelato ( je ne sais si c'est son vrai nom mais j'en doute ). Avec sa formation les Jazz Giants, Ray depuis des décennies délivre son message de swing et de bonne humeur à travers l'Europe – Il était à Marciac cet été- . J'ai vu deux fois le lascar et son spectacle ; ce n'est évidemment pas quelque chose à écouter la tête entre les mains mais à déguster sur place, comme les bananes de Jean Paul Sartre (1).

Ray Gelato ladies and gentlemen :



A bientôt chers petits amis...



(1) Jean Paul Sartre qui avait passé une partie de sa vie à soutenir le communisme n'était pas à une idiotie près et avait déclaré : "Le Jazz c'est comme les bananes ça se déguste sur place ! "

mardi 22 novembre 2011

Mingus et Strozier

Si vous connaissez le Téléthon, et comment auriez vous pu y échapper, vous avez une idée du système de « fundraising » à l'américaine. Facilité par des pratiques fiscales que nous n'avons pas complètement importées, ce mécanisme permet de lever des fonds, parfois considérables, pour diverses œuvres, associations ou projet culturels. Cela va du financement des documentaires sur la télé publique PBS aux bancs de Central Park qui arborent une plaque au nom du généreux mécène qui veille à leur entretien et à leur réhabilitation- avoir « son » banc à central Park est très tendance chez les familles fortunées et philanthropes-. Les exemples les plus importants en terme financier sont ceux portés par les actuels milliardaires comme Bill Gates ou Warren Buffet.

Et le jazz dans tout ça me demandez vous avec angoisse ? Il n'échappe pas à la règle et de nombreux riches amateurs participent à son financement via des fondations diverses.

Tout ça pour vous parler d'un nouveau projet sympathique auquel vous pouvez participer si vous êtes un peu armé côté pognon.

Le propre petit fils de Charles Mingus, Kevin Elligton Mingus, se propose de réaliser un documentaire sur la vie et l' œuvre de son grand père. Il existe déjà des documentaires sur CM, j'en ai vu au moins un, mais la dimension du musicien et du personnage est telle qu'une nouvelle œuvre sur lui ne peut qu' être bienvenue. Ajoutez y le fait que beaucoup des témoins qui ont participé de près ou de loin à l'aventure Mingus ne seront pas toujours là et que le petit fils peut avoir accès à d'intéressantes archives ou témoignages familiaux.


Le principe est de fonder le financement sur des dons du public. A l'instar du Téléthon vous pouvez donc faire des promesses de dons d'ici le 18 décembre, date à laquelle l'opération s'arrêtera si le chiffre nécessaire à la production ( 45 000 $ ) n'est pas atteint. Tous les souscripteurs auront droit à des avantages, le DVD cela va de soit mais aussi un traitement de VIP pour les projections etc...

Voici le lien vers le site qui explique le mécanisme et recueille les dons :


L'héritier Mingus vend son projet dans la vidéo ci dessous.

A vot' bon cœur messieurs dames :


Strozier

Pour ma rubrique maintenant bien fournie des Unsung Heros du Jazz, il m'est venu à l'esprit d' évoquer un des cas les plus déprimants de l'histoire : celui de Frank Strozier.

Songez que rien dans la carrière de ce type n'éveille l'attention : Pas de génie précoce ni de de destin romanesque à la Chet Baker, avec son cortège d'addictions, chute dans les enfers et résurrection. Ne comptez pas non plus sur une disparition prématurée ( né en 1937, Frank semble toujours, et tant mieux pour lui, en vie à ce jour ) qui l'aurait transformé en icône comme Clifford Brown ou Booker Little. Rien non plus dans le genre déchéance, descente SDF ou du même genre, ce qui plaît toujours dans les biographies tourmentées.

Ne comptez pas sur lui non plus pour avoir, même de loin, participé à des œuvres majeures du Jazz ni même figuré dans des phalanges prestigieuses comme Charles Mingus ou Duke Ellington.

Un des nombreux talentueux musiciens de Memphis qui en regorgeait à l'époque, Frank ne s'est pratiquement pas singularisé, en aucun domaine. Sa discographie est particulièrement maigre : deux disques en 1960/61 chez Vee Jay et Atlantic ; Deux disques en 1961/62 chez Jazzland qui n'ont jamais été réédités à ma connaissance ; et enfin deux disques dans les années 70 chez SteepleChase qui n'ont eu aucun succès. Les précédents non plus d'ailleurs, à une exception près. Et encore l'exception ne tient pas à une reconnaissance de notre Frankie mais à la présence discographique, rare puisqu' il a disparu à l' âge de 23 ans, du grand trompettiste Booker Little. C'est ce disque là :



Outre Booker Little, l'orchestre est composé de la section rythmique de Miles Davis à l'époque : Winton Kelly, Paul Chambers, Jimmy Cobb . C' est réellement un témoignage important.

Altiste parkérien comme on se devait de l'être à l'époque, FS avait fait évoluer son jeu vers quelque chose de plus tranchant, comme acidulé, qui le rapprochait beaucoup de Jackie McLean ou de John Jenkins . Il semble que ce ne soient pas les qualités musicales ou une personnalité affirmée qui lui aient manqué mais simplement de ne pas avoir été au bon endroit au bon moment. Manque de bol caractérisé quoi !

Un peu désespéré de cette absence de reconnaissance, Frank Stozier, après avoir participé à quelques aventures musicales comme celle du big band de Don Ellis et avoir été fugacement chez Miles Davis, abandonnera le sax pour se tourner vers le piano, sans plus de succès d'ailleurs.

On peut le trouver également comme sideman avec Roy Haynes ( Cymbalism en 1963), Chet Baker et le MJT+3 du batteur Walter Perkins par exemple.

Frank Strozier a été un peu un artiste maudit ; plein de talent avec une voix personnelle, il est resté quasi anonyme et mérite le détour des amateurs.

Pour vous faire envie quelques extraits musicaux.



Frank Strozier ladies and gentlemen :





Consciencieusement, j'ai réécouté les disques de Frank Strozier pour les besoins de cette mini chronique. A mon très humble avis le meilleur et le plus représentatif de son talent est celui là ( enregistré en 1961, Frank n'avait que 24 ans à l'époque ) :


Arrangeur et leader d'un combo où figurent ses compatriotes de Memphis Harold Mabern -piano- et George Coleman – ts – il se taille la part du lion dans les chorus, à l' alto et à la flûte. Petite curiosité de la composition de l'orchestre: deux des participants ont des progénitures plus célèbres qu'eux. Le sax baryton Pat Patrick, familier de la troupe de Sun Ra, a eu un fils, Deval Patrick, qui est l'actuel gouverneur du Massachussets et une figure influente du Parti Démocrate. Quant au bassiste Bill Lee son rejeton n' est rien moins que le fameux cinéaste Spike Lee. Anecdotique mais amusant non ?

Un extrait de ce disque:


A bientôt chers petits amis...

samedi 19 novembre 2011

A propos d'un nouveau livre sur Norman Granz

Il existe depuis toujours un débat quasi philosophique parmi les historiens à propos des grands hommes dans l'histoire. La question est : les grands hommes ( entendu au sens neutre de leur place dans l'histoire ) ont ils « fait » l'histoire, l'ont ils influencée de façon définitive ou, au contraire, n'ont ils fait que personnifier un mouvement basé sur des forces profondes ; les évènements eussent-ils été quasiment semblables sans leur présence ? Pour illustrer le propos, l' histoire de l'Europe aurait elle été la même sans l'existence d'un petit caporal autrichien nommé Adolf Hitler ? Non évidemment, répondent les tenants de la première école, à peu de chose près la même, affirment les autres ; arguant que la nature historique a horreur du vide et qu' à la place de Hitler un autre hérault de l'hyper nationalisme allemand aurait pris sa place et le déroulement des choses n'en aurait ( malheureusement dans ce cas ) pas été fondamentalement affecté.

Plusieurs fantaisies romanesques se sont appuyées sur cette idée. Que ce serait il passé si ? Philip Roth a écrit un livre dans lequel Charles Lindbergh, l'aviateur populaire mais aussi idéologue raciste et extrêmiste, est élu président des Etats Unis. Tenant sans doute de la deuxième école, l'auteur multiplie les événements qui font qu'au bout du compte, après quelques péripéties, l'histoire fantasmée se recale sur l' histoire réelle.

Passé ce préambule alambiqué sur des théories fumeuses, on peut réfléchir à cette question à propos de l'art en général et du Jazz en particulier. Quid de l'histoire de la peinture si Cézanne n'avait pas existé ? Quid de l'histoire du Jazz si Louis Armstrong, Lester Young ou Charlie Parker n'avaient pas existé ?Le be bop par exemple avait il des racines,sociologiques, historiques et musicales telles que, de toutes façons, ce courant esthétique aurait vu le jour indépendamment de l'existence de tel ou tel artiste ?

Ce qui est vrai de l'influence des artistes l'est également des intervenants extérieurs à la création. Dans quelle mesure l'existence d' Alfred Lion , patron de la firme Blue Note, a- t- elle modifié la production du Jazz des années 50 et 60 ? La réponse est évidemment affirmative . Sans lui l'héritage du Hard bop de cette époque ne serait évidemment pas ce qu'il est.

D'autres personnages considérables ont joué un rôle dans la production de la musique telle que nous la connaissons.

Parmi eux le producteur de concerts, patron de firmes phonographiques et imprésario Norman Granz a eu une influence incontestable.



Issu d'une famille juive ukrainienne immigrée ( il a été le premier de sa famille a naître sur le sol américain ) il a inventé des concepts nouveaux qui ont modifié notre perception de la musique, bien que lui même n'en n'ait jamais joué une seule note.

Tout d'abord le JATP, Jazz at the philarmonic, du nom du Philarmonic auditorium de Los Angelès où s'est tenu le premier concert. Le principe était simple mais révolutionnaire : faire jouer ensemble en public les meilleurs musiciens du moment toutes époques et tous styles confondus. Cerise sur le gateau, Norman a enregistré ces rencontres historiques ( Lester Young et Charlie Parker/ Coleman Hawkins et Oscar Peterson ou Nat King Cole ) qui ont donné parfois le pire en cabotinage musical mais souvent le meilleur et sont un témoignage irremplaçable de ce que pouvait donner un concert sans le carcan de la durée imposée jusque là par le format 78 rpm . Un des éléments consubstantiels du Jazz, la jam session, trouvait pour la première fois son espace public.



Qui dit enregistrements dit labels et Norman en a créé plusieurs : Clef Records en 1946, puis Norgran puis un des plus célèbres  : Verve, toujours opérationnel aujourd'hui. Après avoir vendu Verve à MGM en 1960, pour une, pas si petite que ça, fortune , il créera Pablo Records qu'il vendra également en 1987 quand il se retirera des affaires.

Au fil des ans, notamment chez Pablo, se constituera une véritable « écurie » des poulains de Granz : Ella Fitzgerald dont il était également l'agent tout comme celui d' Oscar Peterson ou Zoot Sims, Joe Pass, NHOP, Roy Eldridge , Eddie Lockjaw Davis, Count Basie etc etc...



Il produira le plus célèbre film sur le Jazz «  Jammin' the blues », organisera aux Etats Unis et en Europe les plus fabuleuses tournées du JATP, offrira à Charlie Parker les meilleures conditions d'enregistrement dont l'écrin de la séance avec cordes. Au fil des années il produira, notamment pour son artiste vedette Ella Fitzgerad, des albums concepts en particulier autour de l' « American songbook »



Norman Granz n'était pas un type facile. Malgré sa fortune il avait des positions et des principes qu'on qualifierait aujourd'hui, au sens américain du terme, de « libéral de gauche ». Outre que contrairement à la plupart de ses concurrents il payait très bien les artistes, s'assurant ainsi de leur fidélité, son combat contre la ségrégation a été constant et mené avec vigueur. Il n'acceptait aucune ségrégation, ni sur scène ni dans la salle ce qui lui a valu dans l' Amérique des années 50 et 60 de nombreux combats. Son caractère opiniâtre et procédurier l'a fait craindre des racistes patentés qui avaient appris à leurs dépens que Norman n'hésitait pas à aller devant les tribunaux avec pugnacité quand il le fallait, et avec les meilleurs avocats du pays. Si vous voulez en savoir plus sur cet aspect de la personnalité de Norma Granz, un livre à ce propos vient justement de sortir, celui là : « Norman Granz – The man who used Jazz for Justice » .



Il vient de s'ajouter à ma liste de livres en attente. Je vous en reparlerai si ça vaut le coup...

A l'exception du management d' Ella, Norman s'est retiré des affaires en 1987 après la vente de Pablo Records et était devenu un collectionneur important d'art contemporain, ami de Picasso et de Miro. La vente d'une partie de sa collection en 1968 a atteint des sommes records.


norman et picasso

Dissimulant sa profonde timidité derrière un masque de dureté et de brusquerie il s'était fait quelques ennemis dont Frank Sinatra qui le haïssait et à qui il le rendait bien, mais ses rapports avec Duke Ellington ont été également un peu compliqués humainement.

Pour illustrer tout ça, une partie d'un documentaire ( vous pouvez je pense trouver la suite sur YouTube ) où l'on voit Norman vers la fin de sa vie- il a disparu en 2001 en Suisse où il s'était retiré – commenter un des plus célèbres films qu'il ait produit, avec Coleman Hawkins et Charlie Parker. Si vous vous étonnez de l'allure dissipée de nos deux gaillards, cela est du au fait qu'ils utilisent ici une technique à laquelle ils n'étaient pas accoutumés : Le Play Back.

Norman, Coleman et Charlie, ladies and gentlemen :



La prochaine fois je vous entretiendrai de Steve Grossman, si je ne change pas d'avis d'ici là...

A bientôt chers petits amis... 

mercredi 16 novembre 2011

A propos de Lionel

Avec mon précédent message consacré à Jonah Jones, j'abordais ce qui semble aujourd'hui un continent perdu du Jazz : le Jazz mainstream parfois appelé Middle Jazz ou swing ou Jazz classique. Hormis quelques spécialistes grognons ou monomaniaques cette séquence ne semble plus intéresser grand monde parmi les amateurs.

La période couvre grosso modo les années 30 et 40 et se poursuit dans les années 50 et 60 en parallèle avec le be bop et d'autres écoles nouvelles ; les acteurs de la période précédente étant toujours en vie.

Bien que se développant à l'intérieur d'un cycle historique marqué par la grande dépression puis la guerre, la musique se caractérise généralement par une intense joie de vivre. Louis Armstrong, Fats Waller, les bigs bands blancs de Gene Krupa ou des frères Dorsey, le big bands noirs de Jimmie Lunceford ou Count Basie, les saxophonistes Herschel Evans, Chu Berry ou Illinois Jacquet n'inclinent pas particulièrement à la morosité ou à l'introspection lugubre.

Je vous raconte tout ça, que vous savez déjà, car je viens de mettre la main sur un coffret paru chez Mosaïc consacré aux enregistrements effectués pour le label Victor entre 1937 et 1941 par les petits ensembles réunis par Lionel Hampton, qui était l'archétype du « Swing Craze » . C'est ça :



Je connaissais déjà une partie de ces enregistrements parus en vynil voilà des dizaines d'années chez RCA ; puis par la réédition chez Classic de ces chefs d'oeuvre, mais l'écoute en continu procure un plaisir et une connaissance supplémentaires.

Soyons clairs, cette production n'était pas originellement destinée aux musicologues distingués ( les musicologues sont forcément distingués ) mais au grand public, blanc ou noir compte tenu de la mixité des formations, et particulièrement aux danseurs. Sur ce point c'est totalement réussi, la majorité des titres sont pris sur un tempo dansant et d'une régularité inégalée.

La période pendant laquelle ces disques sont réalisés est hautement significative.En 1937, Lionel n'a pas 30 ans et les temps économiques difficiles commencent à s'estomper sous l'effet de la politique Rooseveltienne.En 1941, Pearl Harbour et l'entrée en guerre des Etats Unis sonnent le glas de cette courte période historique insouciante.


Le principe chez Victor était simple : on réunissait autour d' Hampton un petit orchestre de studio, c'est à dire qui n'avait pas vocation à perdurer au delà de la séance. Mais ces orchestres étaient constitués des meilleurs solistes des nombreux big bands de l'époque, noirs ou blancs -Cab Calloway avec Jonah Jones ( tiens le revoilà ) ou Cozy Cole, Count Basie, Jimmie Lunceford, Duke Ellington avec Johnny Hoges ou Cootie Williams par exemple , Benny Goodman avec notamment Charlie Christian ; le tout à l'avenant. Ajoutons des arrangements sur mesure : simples, dansants, riffés et terriblement efficaces.

Dans ce contexte les solistes de renom, des vétérans au tout jeune Dizzy Gillespie, pouvaient développer leur art sans contraintes autres que de plaire au public.

Et puis il y a le catalyseur Lionel. Tour à tour batteur déchaîné sur des caisses claires tendues presqu'au point de rupture, pianiste quasi dactylographique utilisant ses deux index comme les mailloches de son vibraphone, chanteur délicieux et plein de malice et surtout le premier vibraphoniste de l'histoire du Jazz, feu d'artifice de virtuosité.

Tout ceux qui ont vu jouer Lionel ont forcément été subjugués par son talent de musicien et d'entertainer. La dernière fois que j'ai assisté à un de ses concerts, c'était à Nice, le décalage était incroyablement frappant entre l'arrivée à tous petits pas maladifs d'un vieux monsieur revêtu d'une moumoute et son déchaînement ultérieur devant l'orchestre. Certes il ratait ici et là les baguettes lors de ses exercices de jonglerie à la batterie mais la magie était toujours là.

Sur le plan humain Lionel n'était pourtant pas un ange. Un égo démesuré et une ladrerie à toute épreuve renforcés par son manager, sa femme Gladys avec laquelle il formait un duo infernal pour ses musiciens, se conjuguait avec une tendance réactionnaire de première ( Lionel était de toutes les campagnes républicaines, notamment celles de Richard Nixon qui était son héros !..) Qu'importe Lionel on t'aime et on te pardonne tout.

Si vous vous sentez aujourd'hui maussade ou d'humeur morose, vous êtes sauvés grâce à la médecine du docteur Gaston. Courez vous procurer le coffret Mosaïc, s' il est toujours en stock ( ce qui n'est pas sur, Mosaïc édite à tirage limité ) vous disposerez de plus de cinq heures de bonheur, de remède contre la morosité et de bonne humeur. Voltaire nous apprenait qu' « il est poli d'être gai », après ma médication vous serez d'une politesse exquise !

Pour vous mettre en jambes, car je vous soupçonne férus de danses zazoues, deux extraits musicaux qui n'ont toutefois rien à voir avec la période 1937/1941.

Lionel et son big band en 1954 sur deux de ses chevaux de bataille : Vibes boogie et Flyin' home.

Une autre merveille des merveilles : Lionel et son All Stars, live au Pasadena civic auditorium en 1947. Ecoutez jusqu'au bout, laissez d'abord s'enfiler les chorus ( dont un délicieux de Slam Stewart à la basse fredonnée à l'octave ) puis, après celui du tout jeune Barney Kessel, Lionel entre en piste pour une démonstration de vibraphone qui vaut son pesant de réécoutes successives !

Lionel Hampton ladies and gentlemen



A bientôt chers petits amis...

dimanche 13 novembre 2011

Jonah et la baleine


Quand on est un amateur, même, croit on, chevronné, il y a toujours un hic. Le hic est que l'on croit tout savoir et tout connaître et qu'on fait régulièrement des rencontres musicales qui remettent en cause nos belles certitudes. C'est justement le cas avec le trompettiste mainstream Jonah Jones.



Je croyais connaître le lascar parce que j'avais entendu ses enregistrements des années 60 pour Capitol. Je l'avais classé dans la catégorie "sympa mais sans plus"  et dans la sous catégorie "roi des sourdines".

Pourtant quelques interventions ouïes chez Cab Calloway, Sidney Bechet ou avec Stuff Smith auraient du me mettre la puce à l'oreille. Mais non, notre Gaston engoncé dans ses croyances ne voulait pas se fendre de la poignée d'euros nécessaire à l'acquisition des œuvres de notre Jonah.

Et pif, je tombe sur le net sur un enregistrement extraordinaire, celui là :



Ce disque est la compilation d'enregistrements américain et parisien de 1954. Cette année là notre Jonah frais émoulu de l'orchestre de Cab est invité au Salon du jazz à Paris. A cette occasion il grave dans la cire deux séries de disques. Tout d'abord une poignée de titres avec le sax ténor Alix Combelle .C'est la meilleure. Jonah y est absolument époustouflant de vélocité avec une technique à faire palir bien de ses commensaux. Il semble que ce disque ait été enregistré pour la marque Swing qui précédait le label Vogue.

On y retrouve avec plaisir le ténor Alix Combelle dont le jeu, disons rustique pour ne facher personne, met parfaitement en valeur celui de Jonah. Emule de Louis Armstrong, et un peu de Charlie Shavers, notre homme que la pianiste Lil Hardin ( qui s'y connaissait pour avoir été mariée à Louis ) surnommait Louis Armstrong le second, est caractérisé par une technique incroyable et un swing intense comme aurait dit Hugues Panassié...

Une deuxième série est réalisée avec Sidney Bechet. Là c'est plus compliqué pour Jonah. Il s'agit d'enregistrements extraordinaires mais surtout pour Sidney. Il est vrai que Mr Bechet est particulièrement encombrant et que son énorme présence et son vibrato génial et envahissant laissent peu d'espace à ses partenaires, aussi doués soient ils. Ce disque semble avoir été enregistré pour Vogue. Cela me laisse penser que Swing est devenue Vogue cette année 1954. Si Anne Legrand LA spécialiste de Vogue passe par là, elle doit pouvoir confirmer ou infirmer ma déduction.

Enfin une séance à New York pour le label Bethlehem avec Edmond Hall-cl- et Vic Dickenson-tb- notamment dont un JJ Special, titre éponyme de la compil où Jonah brille de technique, façon vol du bourdon.

Notre trompettiste ne manquait pas d'humour puisqu' une de ses composition s'intitule Whales' blues, le blues de la baleine, en allusion vraisemblable à son prénom.

Décidément pris par l'enthousiasme des néophythes je suis impatient de découvrir d'autres enregistrements de ce musicien. Bien qu'il ne fut pas un novateur comme Red Allen ou surtout Roy Eldridge, Johah Jones semble bien oublié aujourd'hui, peut être en raison du succès de ses disques très « commerciaux » ultérieurs.

Comme c'est le "jour de la gentillesse", comme vous l'avez peut être lu dans la presse ( que ne vont ils pas inventer hein?) je vais vous faire deux cadeaux dont un exceptionnel.

Le premier , pour les gens pressés ou pas intéressés plus que ça par Jonah Jones, un extrait musical du disque, ici ( avec Alix Combelle ) :



Pour les moins pressés ou auxquels ma prose a mis l'eau à la bouche, un lien de téléchargement de l'entier disque. Généralement je ne fais jamais ça mais il s'agit là d'enregistrements qui ont plus d'un demi siécle et je suppose qu'il n'y a plus de droits depuis un moment et de toutes façons les musiciens en cause ne sont plus de ce monde.(1)

Enjoy ! ( et Thanks to the original uploader )


A bientôt chers petits amis...


(1) Bien évidemment si quelqu'un se sent lésé, faîtes le moi savoir, ce lien sera détruit !

vendredi 11 novembre 2011

Bernard sans Bianca

Cela fait un bon moment que traîne ici et là dans les gazettes l'annonce d'un film consacré à Miles Davis ; ce qui ne serait non seulement justice mais une bonne affaire commerciale vu la dimension du personnage qui est largement connu du grand public, sinon sa musique. Il semble toutefois qu'on s'oriente vers quelque chose de tout à fait différent du film de Clint Eastwood consacré à Charlie Parker, quoiqu'on pense de cette dernière œuvre mais qui avait au moins le mérite d'une certaine fidélité historique et musicale.


Le nom du réalisateur retenu, George Tillman Jr, n'incite pas à l'optimisme, sa ( petite ) œuvre passée – Notorious, Men of Honor- ne se distingue pas par des standards cinématographiques ou éthiques très élevés.

D'après ce que j'ai compris en lisant la presse américaine, le scénario serait basé sur le livre du fils le plus âgé de Miles, Gregory Davis ( The Jekyl and Hyde life of Miles Davis ).

Un des éléments essentiels de la fabrication du film sera le casting du rôle principal. Vu l'orientation que semblent prendre les choses je propose George Clooney. Qu' en pensez vous ? Brad Pitt pourrait assurer le rôle de Thelonious Monk et Angelina Jolie celui de Billie Holiday. Quant à Jamie Fox, pourquoi pas le personnage de Gil Evans !

Je ne sais pourquoi je ne le sens pas ce coup là. Les studios américains avaient parfaitement réussi leur affaire avec Ray, biopic de Ray Charles, mais avec Miles je crains le pire. Enfin on ira voir ça mais depuis que le projet traîne ça ne semble pas être pour demain. Affaire à suivre.

Unsung heros : Bernard McKinney

Ce nom ne vous dit vraisemblablement rien sauf si vous êtes un fin connaisseur du hard bop, ce dont je ne doute pas une seule seconde. Peut être, mais ce n'est pas sur du tout, le nom musulman, Kiane Zawadi, qu'il a adopté en 1965 fait résonner en vous une vague réminiscence discographique. Non ?


Si j'avais repéré ce lascar au long de mes pérégrinations dans l'oeuvre de Freddie Hubbard ou de Pepper Adams, mangeons tout de suite le morceau : l'originalité de Bernard tient à son instrument : Tromboniste, voire sax baryton dans un certain nombre d'enregistrements c'est à l' Euphonium qu'il se distingue de ses confrères musiciens.

Un euphonium c'est ça.


Un tuba donc me dîtes vous. Certes mais avec une tonalité différente, proche du sax baryton alors que le tuba couvre la tessiture de la contrebasse. Pour être honnête, une écoute inattentive fait plutôt penser au trombone basse, famille des cuivres oblige.

Il est très difficile de trouver des infos sur Bernard McKinney SAUF que , voilà une dizaine d'années Vincent Bessières avait eu l'excellente idée d'établir des notules sur quelques acteurs méconnus du Hard bop ( il semble que lui même tenait une partie des renseignements de Michael Fitzgerald ). Si vous voulez en savoir plus voici le lien vers la note en question :http://hardbop.pagesperso-orange.fr/Zawadi/Zawadi.html . On y apprend que notre euphoniumiste était de Detroit et c'est naturellement avec ses « pays » ( Donald Byrd, Kenny Burrell, Paul Chambers...) qu'il a commencé sa carrière et que c'est un autre originaire de Detroit, Yusef Lateef, qui l'a entraîné à New York où il a fait une longue carrière de sideman, puisque son premier enregistrement date de 1955 et qu'il enregistrait encore à l'orée des années 2000.

L'utilisation de cet instrument inusité dans le Jazz donne une couleur et une originalité particulière aux disques auxquels il participe, par exemple celui là :


Un des meilleurs disques de Pepper Adams qui n'avait pourtant pas pour habitude d'enregistrer de la gnognotte ( vous remarquerez que même la pochette est très réussie ).

Ou celui là, un des premiers, et des plus aboutis, disques de Freddie Hubbard chez Blue Note :


On le retrouve aussi, toujours à l'euphonium dans le Slice of the top de Hank Mobley en 1966 pour citer quelques albums fameux auxquels notre compère a participé.

Assez de paroles de la musique ; voilà deux extraits des disques précités. Enjoy !

Bernard McKinney ladies and gentlemen


A bientôt chers petits amis...

mardi 8 novembre 2011

Rita, James et l'héritage...

Je m'en veux toujours d'avoir "mal parlé" de deux chanteuses dans un post précédent.


Si je maintiens mon opinion après réécoute concernant le dernier disque de Dee Dee Bridgewater, je suis bien obligé de faire amende honorable au sujet de Rita Reys


Je ne connaissais que de nom cette chanteuse, entendue réellement très récemment. Soucieux d'être impartial j'ai cherché depuis d'autres disques de notre héroïne et j'en ai trouvés. Particulièrement un disque exceptionnel enregistré en Mai et Juin 1956 avec les Jazz messengers. Hé oui chers petits amis dans leurs prime jeunesse les JM avaient enregistré derrière, ou plus précisément avec, une chanteuse. Et cette (jeune à l'époque ) chanteuse était Rita Reys.




Le résultat est surprenant, dans le bon sens, et on se plait à regretter que la bande de Art Blakey n'ait pas réédité l'exploit une autre fois. La formation est exceptionnelle – Horace silver et Hank mobley pour la séance de Mai, Donald Byrd et Kenny Drew pour la séance de Juin- et c'est une pitié que ce disque , enregistré pour Philips Hollande à l'origine, ne soit pas plus largement reconnu dans la discographie de Art Blakey.


Et Rita ? Me demandez vous. Rita est là parfaite, façon voix blanche avec un fond d'accent hollandais charmant et elle s'insère très bien dans l'ambiance Jazz Messengers de l'époque.




Il est temps , pour ceux qui, comme je l'étais jusqu'à il y a peu ne sont pas avertis de l' art de Rita Reys, que je vous laisse juges par vous mêmes. Voilà donc un extrait de ce disque de 1956 avec les Jazz Messengers, sur un standard. Rita a enregistré beaucoup d'autres galettes dans sa vie ; Ce que j'ai entendu jusque là me laisse penser que l'opus de 1956 est ce qu'il y a de plus réussi.


Riat Reys and the Jazz Messengers ladies and gentlemen








Back to the roots


Toujours pour ceux qui suivent, vous vous souvenez peut être de mes lignes, façon chronique, dithyrambiques à propos de James Carter en général et de son dernier disque en particulier ; 


Figurez vous que le bougre, toujours prêt à nous étonner, vient de sortir une nouvelle édition de son talent. Si le précédent disque était ambitieux, genre dialogue avec un orchestre quasi symphonique, le dernier est très différent puisque, avec son compère habituel l'organiste Gerard Gibbs, Jimmy rend hommage à ses racines, blues et gospel, dans un format qui est celui du « chitlin' circuit » des sixties, ténor/orgue, qui rappelle les grandes réussites du genre ( Sonny Stitt/ jack McDuff ou Stanley turrentine/Shirley Scott ). Comme toujours avec JC c'est époustouflant . Sa capacité à créer des albums qui ont du sens est une de ses marques de fabrique, avec la virtuosité. Vous l'avez compris je suis un fan de James Carter




Voilà justement notre homme avec son organ trio à New York récemment. Ne zappez pas cette vidéo, vous le regretteriez et je le prendrais mal !




Echos des blogs


Vous faites évidemment ce que vous voulez mais à votre place, si vous lisez l'anglais, j'irais faire un tour sur le blog du jour de Marc Myers  ( lien ici http://www.jazzwax.com/). Marc nous livre une longue interview de Jordi Pujol, le patron de la firme phonographique Fresh sound.


Fresh sound est, comme vous le savez peut être, spécialisée dans les rééditions d'enregistrements américains de Jazz, disparus des rayons des disquaires depuis longtemps. Firme catalane, Fresh sound bénéficiait jusque là de la différence de traitement quant à la durée des droits d'auteurs entre l'Europe et les Etats Unis.


C'est ainsi que des disques oubliés dans leurs coffres par les labels américains ont pu revoir le jour pour le plus grand plaisir des amateurs.


Malheureusement les projets législatifs Européens d'aligner les règles de durée européennes sur celles des Etats Unis risquent de tuer cette belle aventure. Les ayants droits n'en seront pas mieux traités pour autant puisque les labels Us ne rééditeront pas cette musique s'il faut payer.


Bien que n'étant pas un dangereux anarchiste, je me suis toujours demandé en quoi le fait d'être le petit neveu d'un musicien talentueux et disparu depuis longtemps donnait le droit de gagner des sous. Enfin c'est comme ça , c'est le système, il faut s'y faire.


A bientôt chers petits amis...

samedi 5 novembre 2011

Christiane, Betty et les taxes

Je suis encore tout marri d'avoir décrié le travail de deux chanteuses dans un précédent message. J'essaye depuis de me faire humblement pardonner auprès de la communauté féminine des vocalistes en louant le plus possible leur travail. L'actualité m'en donne malheureusement l'occasion avec la récente disparition de Christiane Legrand a l'âge de 81 ans.



Même si ce nom ne vous dit rien, vous connaissiez Christiane Legrand au moins par la voix qu'elle a prêtée généreusement à la musique de son compositeur de frère, Michel Legrand pour les films de Jacques Demy. C'était elle la voix d'Anne Vernon pour les parapluies de Cherbourg ou celle de Delphine Seyrig ( la fée Lilas ) dans peau d'âne. C'était aussi la voix française de Mary poppins.

De formation classique ( elle chanta Bach mais aussi Marius Constant ou Luciano Bério ) elle s'était plus qu'aventurée dans le jazz avec Les Swingle Singers de Ward Single mais surtout les double six dont elle fut avec Mimi Perrin un pièce maîtresse.

La voilà donc avec les double six dans un arrangement de Quincy Jones sur rat race :


Puisque je suis tout contrit avec mes chanteuses, buvons le calice jusqu' à la lie et après on passera à autre chose ; je ne vais pas aller à Canossa jusqu'à la nuit des temps.


Peut être le nom de Betty Roché ne vous dit il rien. Cela ne serait pas plus étonnant que ça. Cette excellente chanteuse a cotoyé les plus grands mais n'a pas eu de bol avec les témoignages discographiques.


Qu'on en juge : Chanteuse chez Duke ellington dans les année 40, elle succédera à Ivie Anderson après avoir gagné un concours de chant à l' Appolo. Elle sera dans le coup des premières grandes œuvres ambitieuses du Duke dont le Black, Brown and beige dont elle assurera la partie blues mais malheureusement cela ne sera pas enregistré ou du moins pas sorti commercialement à l'époque. Par la suite, au moment où sa voix aurait pu être gravée dans la cire , le fameux « ban » ( grève des enregistrements ) nous a privé de ce témoignage. Quand la grève sera terminée, Betty ne faisait plus partie de l'orchestre.

Autre malchance : elle fut pendant trois ans juste après la guerre la chanteuse maison du club harlémite le Minton's où la musique nouvelle, le be bop, s'élaborait . Nous ne possédons pratiquement pas de documentation sonore des sessions du Minton's avec les jeunes Thelonious Monk, Kenny Clarke ou Charlie Parker et en tout cas rien avec Betty Roché.

Elle s'est rattrapée plus tard, à la fin des années 50, avec une petite poignée de disques, notamment chez Prestige. Je pense qu'on peut trouver celui là :



et celui là avec le formidable et méconnu guitariste Wally Richardson :



Influencée par le bebop, comme le montre son interprétation de billie's bounce dans le premier disque, elle s'est essayée dans un style scatté proche de Sarah Vaughan qu'elle n'égale évidemment pas. C'est dans le blues et les ballades qu'elle excelle.

Betty était sinon une grandissime, du moins une bonne chanteuse de son époque dont le travail a été injustement sous documenté. Quelques extraits musicaux choisis dans les deux disques ci dessus:

Betty Roché ladies and gentlemen



De la collectionnite aigüe.

J'ai parlé ici à l'occasion de la fascination qu'exerçaient sur moi les collectionneurs frénétiques.

Outre les disques ( on en est tous un peu collectionneurs avouons le ! ) cette sale manie prend des effets parfois cocasses et extravagants. Je pense aux collectionneurs d'autographes des musiciens de Jazz. Il y a des spécialistes et des collections remarquables, inutiles et sans intérêt mais remarquables.

Une des pièces les plus insolites que j'ai vue est celle ci :



La déclaration d'impots manuscrite de 1950 du clarinettiste Milton « mezz » Mezzrow ( plus fameux par sa très bonne autobiographie que par ses exploits à la claribole enchantée ).

Etonnant non ?

A bientôt chers petits amis...




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