lundi 31 octobre 2011

Nathan Davis et des dames bien décevantes.

je viens de lire un livre de Philip Roth, Indignation, de 2008 c'est vous dire si je suis en avance dans mes lectures !... Quoi qu'il en soit le héros du livre, jeune étudiant modèle au début de l'intrigue, finit par périr à la guerre de Corée par la grâce ( ou plutôt la disgrâce ) d'un enchaînement de décisions qui paraissaient rationnelles sur le moment mais qui, additionnées, le conduisent à sa perte. Cela m'a fait penser, une fois le bouquin terminé à l'excellent musicien que vous connaissez peut être : Nathan Davis. La transition est audacieuse mais j'explique :

Nathan Davis alors résident européen comme beaucoup de saxopohonistes ténors avant ou après lui ( Coleman Hawkins, Don Byas, Johnny Griffin, Ben Webster, Dexter Gordon qui, le saviez vous, parlait convenablement le danois, étonnant non ? ) avait eu l'opportunité de faire une tournée européenne avec les Jazz Messengers, suite à la défection de Wayne Shorter en 1965. Séduit par son jeu et sa grande technique musicale Art Blakey lui avait proposé de prendre la suite de Wayne dans les Messengers, non seulement comme sax vedette mais comme compositeur et directeur musical. Il aurait ainsi succédé à Wayne et Benny Golson et précédé Winton Marsalis. Pas mal comme proposition non ? Que croyez vous que Nathan répondit à cette aubaine ; sur le plan musical, car sur le plan financier Art était réputé pour payer avec un lance pierres ?

Notre Nathan, excipant de femme et enfants en France refusa tout net et du coup est infiniment moins connu que son talent le justifierait.

Nathan Davis avait deux similitudes avec Charlie Parker : Comme lui il était né à Kansas City, précisément dans le même quartier et, comme le Bird, il avait commencé sa carrière dans l'orchestre de Jay McShann. Les similitudes s'arrêtent là, notre homme était un ténor hard bop plutôt Coltranien tendance première période. Outre le ténor il brillait au soprano, à la flûte et au baryton.

Si aujourd'hui des ténors comme Ricky Ford ou David Murray peuvent résider en Europe et avoir des carrières internationales, il n'en était pas de même à l'époque où les moyens de communication, physique et virtuelle n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui. Malgré la fréquentation des expatriés comme lui, notamment Woody Shaw qui, atteint par le mal du pays, retournera rapidement chez lui, Nathan n'a pas participé de près à la grande aventure du Jazz outre Atlantique.

Il se rattrapera plus tard en fondant avec Arthur Blythe, Chico Freeman et Sam Rivers le ( un peu ) célèbre groupe Roots. Mais, toujours soucieux de préserver sa vie familiale et sa sécurité et refusant l'aventure, il finira dans la peau d'un éducateur musical à l'Université de Pittsburgh. Agé de 74 ans je pense qu'il a pris sa retraite de ce poste qu'il a occupé très longtemps mais après tout je n'en suis pas sur .

Bien que Nathan ne soit pas réellement plus aventureux dans sa musique que dans ses choix personnels, j'avais un faible pour les disques qu'il a enregistrés ici dans les années 60 ( Peace Treay et Happy girl notamment avec Woody Shaw dans les deux cas ). Plus jeune que les autres résidents comme Dexter ou Griffin, Nathan apportait une touche d'avant garde, modérée certes, au paysage parisien, avant le déferlement du Free Jazz.


On peut peut être trouver ses disques de l'époque, ou ceux où il apparaît en sideman auprès de Slide Hampton ou encore Benny Bailey ( Soul Eyes avec Mal Waldron ).

Pour vous donner une idée au cas où, quelques extraits musicaux

Nathan Davis ladies and gentlemen :



Des dames bien décevantes

Connaissez vous la chanteuse hollandaise, disparue maintenant, Rita Reys ? Je la connaissais que de nom et viens conséquemment pour ne pas mourir idiot d'acquérir ce disque ( la présence de Johnny Griffin a certes aidé ). 




Malgré tout le bien que je pense des dames en général et des chanteuses en particulier je dois avouer ma grande déception devant une voix confidentielle assez loin du talent d'autres européennes comme Karin Krog ou Dame Cleo Laine. A réécouter donc !

Autre semi déception, le dernier opus de Dee Dee Bridgewater. Un disque consacré aux chansons d'amour ( y en a-t-il qui ne le soient pas ? ) sur son label DDB.





Notre Dee Dee a beaucoup de qualité mais elle est avant tout pétulante et sa pétulance s'accorde mieux avec les up tempos, si possible live. Son précédent enregistrement consacré à Billie Holiday n'était pas convaincant franchement non plus. Dee Dee resaisis toi, on t'aime !!

Dee Dee en forme :


A bientôt chers petits amis...

samedi 29 octobre 2011

le déclin du Jazz ou le pourquoi du comment...

Mon message sur Joe Carroll m'a valu un commentaire très chaleureux de Christian, qui m'a fait chaud au cœur comme on dit. Les commentaires sur les blogs deviennent de plus en plus rares. Est ce un signe de la montée de l'individualisme ? je ne sais, mais le commentaire est la seule réelle récompense du blogueur, même les désagréables. Il est vrai que ce blog, vu l'étroitesse de son sujet, n'a pas pour vocation de trouver un immense lectorat mais n'hésitez pas à laisser un ( même bref ) mot si vous passez par là ; c'est mon seul encouragement.

Christian se pose ( et me pose par là même ) la question du déclin marqué du Jazz dans les années 50. C'est un sujet éternel sur lequel j' ai mes convictions. Ce déclin n'est vraisemblablement pas du , comme fréquemment, à une cause mais bien à la convergence de plusieurs.

On avance souvent l'idée que la sophistication accrue, avec le be bop et ce qui a suivi – On ne pouvait plus danser sur cette musique – a détourné le public du Jazz. C'est incontestable mais pas totalement convaincant. Le be bop à ses tous débuts était à la mode et avait trouvé son public. Si ça n'a effectivement pas duré, la musique qui a suivi dans les années 60, le soul jazz avec Cannonball Adderley par exemple était, si on fait un effort minimum d'écoute, parfaitement dansante.


Les profondes modifications dans les modes de vie apparues dans les années 50 dans la société américaine – développement des banlieues pavillonnaires , suburbs, emprise croissante de la télévision – ont éloigné le public de la vie nocturne ( clubs , concerts ) qui était le lieu par excellence de l'épanouissement du Jazz.

Le retour, enfin, d'une forme marquée de prospérité a favorisé le rock and roll naissant au dépens du Jazz ; Un hédonisme musical conciliant le besoin d'oublier les temps difficiles, la grande dépression puis la guerre, et une forme infantile de révolte contre l'american way of life conservateur et conformiste.


Enfin il est impossible de faire l'impasse sur la question raciale. N'oublions pas que le succès du Jazz dans les années 30 et 40 a été largement fondé sur des vedettes blanches : le roi du swing était Benny Goodman et non pas Louis Armstrong ; les bigs bands les plus populaires étaient ceux des frères Dorsey ou d'Harry James pas Count Basie ou Duke Ellington. Si à l'époque les musiciens noirs ont pu rencontrer un certain succès dans le sillage de leurs homologues blancs, le déclin de ces derniers pour les raisons citées plus haut les a privé des locomotives indispensables dans la société américaine encore largement fondée sur le mépris racial.


Le Jazz a toutefois continué de prospérer, de façon plus souterraine, dans les années 50 et 60 ; A preuve le nombre incalculable de disques, dont des chefs d'oeuvre, enregistrés à cette époque. Le public n'était certes plus mainstream mais composé d'une part de jeunes gens blancs « hip » qui voulaient ainsi se démarquer de la culture ambiante et d' un public noir qui restera partiellement fidèle à cette musique jusqu'à ce que le relais soit pris par le R&B et la soul music, qui tireront définitivement le tapis sous le pied des Jazzmen.

En France, comme toujours, le phénomène sera plus tardif. L'engouement pour le Jazz dans la période précédente n'avait pas été de même nature qu'aux Etats Unis et la prospérité sera plus lente ( souvenons nous de la terrible crise du logement et que des tickets de rationnement pour certains produits ont existé jusqu'en 1949 ). La popularité du Jazz s'affirmera au contraire dans les années 50 avec le formidable succès de Sidney Bechet et du « revival » en général mais aussi des concerts de Lionel Hampton ou de la tournée en 1958 des Jazz messengers. En 1962 la fin de la guerre d'Algérie et l'arrivée au pouvoir économique des baby boomers sonneront le glas de la musique noire syncopée. Un rock and Roll francisé et abatardi prendra le relais.

Et aujourd'hui me dîtes vous ? J'avoue n'en fichtrement rien savoir. Ce qui est certain est qu'aujourd'hui aux Etats Unis il n'y a jamais eu autant d'enseignement du Jazz et de musiciens, professionnels et amateurs, de Jazz. Pourtant paradoxalement il n'y a jamais eu aussi peu d'auditeurs. Pour le reste comme le disait Pierre Dac « il est difficile de faire des prévisions surtout quand il s'agit de l'avenir » !!...


Unsung heros – Nick Brignola

Si vous aimez le sax baryton ( Pepper Adams – Joe Temperley – Gerry Mulligan – Serge Chaloff – Ronnie Cuber ) J'ai quelqu 'un pour vous qui ne vous décevra pas. L'ami Nick Brignola, disparu en 2002, a été un des grands de l'instrument qu'il a pratiqué au cours d'une carrière bien remplie, en soliste ou dans les bigs bands, dont celui de Woody Herman.



J'ai découvert l'animal à l'occasion d'une tournée européenne avec son pote Ted Curson au Chat Qui pêche de Mme Ricard en 1967. Nostalgie, nostalgie... J'ai, depuis, toujours admiré cet artiste discret mais dont la discographie est remarquable. Allez un peu de Brignola dont un extrait de son excellent disque avec le tromboniste Bill Watrous plus une bonne prestation en quartet.

Nick Brignola ladies and gentlemen, enjoy !



Puisque vous semblez aimer le baryton vous en reprendrez bien un peu avec la plus belle sonorité qui soit à l'instrument, je veux parler de maître Harry Carney of course.


Pour en finir avec cette barytonnite aigue, le meilleur spécialiste français dont vous pouvez vous procurer je crois cet excellent disque :



Xavier Richardeau, en showcase :



A bientôt petits amis...



jeudi 27 octobre 2011

Babs Gonzales


Vous vous souvenez sans doute de Joe « bebop » Carroll que je vous ai présenté voilà quelques jours. Joe constituait avec Eddie Jefferson et King Pleasure les mousquetaires du be bop vocal. Comme tous mousquetaires qui se respectent, nos lascars étaient accompagnés d'un quatrième larron : Babs Gonzales.


Il se trouve, le hasard faisant bien les choses, qu'aujourd'hui 27 Octobre est le 92 ème anniversaire de la naissance de Babs Gonzales. L’événement n'est pas suffisamment considérable pour faire la une des gazettes. J'en ferai donc ma une à moi.

Une petite notice biographique de l'ami Babs. Son vrai nom était Lee Brown. Si le surnom de Babs est d'origine familiale, son patronyme de scène a d'autres raisons. Se surnommant lui même Ram Singh dans un premier temps il souhaitait se faire passer pour indien et portait le turban. Le but du subterfuge était d'éviter les tracasseries liées à sa couleur de peau, à Hollywood où il était aller chercher, sans la trouver, la fortune. Le truc n'a pas du fonctionner puisqu'il s'est rabattu sur une soi disant identité mexicaine d'où le nom de Gonzales.

Il avait étudié le piano et la batterie mais c'est dans les studios de cinéma qu'il tentera sa chance. Malheureusement son plus grand titre de gloire n'aura été que d' être le chauffeur d' Errol Flynn. Il reviendra donc, comme chanteur, à la musique avec des gigs pour les bigs bands de Charlie Barnet et Lionel Hampton ( qui n'est pas passé chez Lionel à cette époque ?). A partir de 1946 il conduira son propre groupe influencé par le be bop naissant : Three bip and a bop, qui enregistrera pour Blue Note jusqu'en 1949 avec des titres comme Professor Bop ou Oop-Pop-A-Da qui sera plus tard popularisé par Dizzy Gillespie.

Dans les années 50 il enregistrera pour Capitol puis sera chanteur et manager pour James Moody. Pour Blue Note il enregistrera Soul Stirrin' avec Jimmy Smith et Johnny Griffin. Il sera également manager, disc jockey et fondera une éphémère maison de disques.

A partir des années 60 il résidera principalement en Europe où il sera considéré, un peu comme Screamin Jay Hawkins, comme une personnalité haute en couleur et excentrique. Il ne se déplaçait jamais sans sa cape qui le faisait ressembler à Batman. On le verra sur scène à Montreux en 1975.

Une des anecdotes les plus célèbres est la correction sévère que lui infligea le ceinture noire et adepte du Karaté Jimmy Smith dans les couloirs de Blue note. Vivant d'expédients, Babs clamait avoir découvert Jimmy et lui réclamait des commissions. C'est la seule rixe qu'il n'y ait jamais eu chez Blue note.

Babs n'était pas un grand chanteur mais il était « hip » et toujours accompagné des meilleurs pour ses enregistrements. Ce disque là par exemple ( que je cherche frénétiquement dans ma discothèque sans remettre la main dessus. Il faut que je classe c'est impératif ) le montre en compagnie de rien moins que Johnny griffin, Clark Terry, Horace parlan et Ben Riley.




Pour ceux qui doivent être majoritaires et qui ne connaissent pas l'ami Babs un petit florilège de ses œuvres :(1)

Babs Gonzales ladies and gentlemen : 





Charles Mingus on Arte

Avez vous vu l'émission de Laurent de Wilde ( déjà auteur d'un film sur Thelonious Monk ) sur Charles Mingus ? C'était tard vous l'avez peut être ratée. Vous pouvez vous rattraper en streaming sur le site de la chaîne pendant un moment. Faîtes le, c'est un ordre, vous ne le regretterez pas. C'est intelligent, pas assommant du tout malgré les ( très claires ) explications techniques de l'auteur, sans pathos inutile. Enfin si vous le ratez vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous même...

A bientôt cher petits amis... 

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(1) Le premier extrait contient le premier chorus jamais enregistré par le jeune Theodore "Sonny" Rollins, déjà très reconnaissable.

mardi 25 octobre 2011

Cette année là...John Jenkins.

Il en est de la production jazzique comme de celle du vin, des grands millésimes et des petites années. Si on connaît précisément les éléments météorologiques qui feront une grande année vineuse, l'explication d'une grande année de musique est plus aléatoire. Quoiqu'il en soit cela ne servait que d'introduction ; je veux vous parler d'une année spéciale et extraordinaire quant à la réussite musicale, l'année 1957 évidemment.


En 1957 quelques états européens signaient le traité de Rome, les russes lançaient le Spoutnik, le gouverneur Faubus se ridiculisait dangereusement à Little Rock et Jacques Anquetil gagnait brillamment le Tour de France. Pendant ce temps aux Etats Unis d'Amérique les musiciens rivalisaient de talent dans les studios pour nous léguer quelques merveilles.

Les plus grands sont à la manœuvre : John Coltrane enregistre au moins sept disques cette année là ; dont Dakar et Lush Life. Sonny Rollins grave live le fameux At The Village Vanguard chez Blue Note. Chez Blue Note toujours Johnny Griffin en compagnie de John Coltrane et Hank Mobley nous livre la Jam Session absolue : A blowin session. Charles Mingus nous donne The Clown et Tijuana Moods. Miles Davis Miles Ahead et Relaxin. Louis Armstrong n'est pas en reste puisque avec sa commère Ella Fitzgerald il nous fait cadeau de Porgy and Bess. Quant aux maîtres du big band, le Count Basie enregistre son chef d'oeuvre E=MC2 et le Duke sa suite shakespearienne Such sweet Thunder.

Mais cela n'est qu'un aperçu facile. Les labels prestigieux – Blue Note, Riverside et Prestige notamment- tournent à plein régime et ce sont des centaines de merveilles que l'année 1957 engrangera. On dit parfois chez les amateurs : «  prenez n'importe quel disque de 1957 il est forcément bon » ce qui est sûrement excessif mais révélateur.

Au cours de cette année 1957 un musicien va apparaître , briller puis disparaître quasiment la même année comme une phalène qui aurait trop volée. Ce cas unique s'appelait John Jenkins Jr.


Pur Chicagoan formé comme Johnny Griffin ou Clifford Jordan à la dure école du Captain Walter Dyett à la DuSable High School, notre héros, tout empreint de l'héritage parkerien arrive cette année là à New York à 25 ans et joue brièvement chez Charles Mingus, excusez du peu. Immédiatement remarqué il va, au cours du Printemps et de l'été 1957, enchaîner les séances.

  • Le 14 Avril il est avec le vibraphoniste Teddy Charles pour ce que Teddy considère comme son meilleur disque Coolin'.
  • Une semaine plus tard, le 21 Avril, il participe pour Blue Note au disque de Hank Mobley Hank avec Donald Byrd à la trompette, Bobby Timmons au piano et son pote de Chicago le bassiste Wilbur Ware étonnant disciple de Paul Chambers.
  • Le 3 Mai il participe pour Prestige à un duel avec son alter ego Jackie McLean Alto Madness
  • Encore une semaine plus tard, le 10 Mai, il est aux côtés de Mal Waldron et Curtis Fuller ( pas très en forme en passant ) pour un curieux disque de Paul Quinichette. Curieux par l'entourage de PQ qui est le Lestérien par définition, environné ici de purs « modernistes ». Mais notre John Jenkins y est remarquable de flamme.
  • Au début du mois suivant, le 2 Juin il figure dans le Blue Note 1565 de Clifford Jordan, un autre chicagoan, aux côtés de Lee Morgan tp et encore Curtis Fuller, mieux inspiré ici.
  • Les beaux jours étant venus, il participe le 26 Juillet à un disque « coopératif » chez Prestige sous les noms accolés de John Jenkins/Clifford Jordan/Bobby Timmons avec encore Wilbur Ware à la basse.
  • Toute cette activité ne pouvait échapper aux grandes oreilles du patron de Blue Note, Alfred Lion qui lui fera enregistrer le 11 Août un disque en leader. Pour plus de sûreté Alfred, prudent, lui adjoindra une valeur sure de la maison comme co-leader : Kenny Burrell.


Et voilà, il n'aura dansé qu'un seul été ! Il y aura encore son chant du cygne à l'automne puisque le 18 Novembre un groupe de pur chicagoans , sous le leadership nominal de Wilbur Ware mais dont la véritable force est johnny Griffin, enregistreront un disque manifeste et remarquable The Sound of Chicago ( Junior Mance au piano ) dont notre Jenkins fera partie.

John Jenkins n'enregistrera pratiquement plus jamais, à l'exception d'un essai de come back en 1990 avec son vieux compère Clifford Jordan pour un disque que je ne connais pas sur un label obscur.

Entre temps il restera un peu dans le business de la musique, qu'il abandonnera complètement au milieu des années 60 pour subsister un temps comme garçon de course puis s'essayer à la bijouterie artisanale qu'il vendra sur les marchés ; avant de reprendre l'instrument pour jouer essentiellement au coin des rues. Il décédera en 1993 à 62 ans.

De son jeu, le dictionnaire du Jazz sous la plume de Thierry Leboff nous dit « Évidemment parkerien, il se distingue de son modèle par une sonorité plus métallique et un léger vibrato...Reconnaissable à son phrasé vif, incisif à la manière d'un McLean, il sait se montrer émouvant lorsqu'il interprète des ballades » Tout cela est bien vu mais ne nous explique pas le pourquoi de sa carrière de météorite. Nous ne le saurons vraisemblablement jamais.

Quelques extraits des disques plus haut cités :

John Jenkins ladies and gentlemen


A bientôt chers petits amis...

samedi 22 octobre 2011

Tony


Un des phénomènes de l'édition musicale de ces derniers mois est le disque de Tony Bennett Duets 2. N° 1 au Billboard 200, il enregistre des chiffres de ventes inespérés, s'agissant d'un vieux crooner italo-américain qui a connu le succès dans les années 50, bien que sa renommée ne fut jamais celle d'un Frank Sinatra.

Si la mort subite d'une des duettistes, Amy Winehouse, a sans doute favorisé la promotion, malheureusement, ce succès de Tony n'est pas le premier et ne peut s'expliquer par ce seul événement extra musical.


Le disque n'est certainement pas son meilleur et n'atteint pas l'excellence des albums des années 60, comme celui avec Count Basie, au hasard. Pour autant la musique est bonne et chacun des artistes présents fait de son mieux pour être au niveau du maître. Il y a des réussites, les plus incontestables sont les duos avec Lady Gaga sur The lady is a tramp et Amy Winehouse, déjà citée, sur Body and soul. Aretha Franklin, Michael Bublé ou Natalie Cole sont égaux à eux même sans plus, ce qui est déjà bien. Norah Jones également c'est à dire que sa voix est aussi excitante qu'un frigidaire vide. Il y a même un vrai ratage avec Andrea Bocelli sur Stanger in Paradise.

Mais le succès d'une telle entreprise ne repose pas sur le compromis ni les compromissions. Tony Bennett y chante de sa façon ( magnifique ) habituelle sans aucune concession. C'est un chanteur « de Jazz » tendance crooner swinguant de la meilleure eau . Le répertoire n'est pas non plus sollicité pour « faire jeune ». Pratiquement que des standards et le duo avec Amy Winehouse, vu des millions de fois sur Youtube, repose sur « body and soul », cheval de bataille de Coleman Hawkins, écrit en 1930, presqu'aussi vieux que Tony ( 85 ans) lui même et archétype s'il en est du standard « de Jazz ».


Le bloggeur américain Clyde Smith a interrogé longuement l'artisan des succès de Tony, son imprésario/producteur Danny Bennett qui, vous l'aurez compris, n'est autre que le propre fils de l'artiste. Vous trouverez ici les liens vers le papier de Clyde Smith.http://www.allaboutjazz.com/php/news.php?id=88530

En résumé, l'auteur nous apprend qu'au début des années 80, comme tous les artistes de sa génération TB était dans une mauvaise passe ; vente de disques en berne, public vieillissant et disparaissant peu à peu. Comme ses congénères il était réduit à d'incessantes galères de tournées, le must était un engagement un peu long à Las Vegas, ringardisant encore l'image du crooner. Ajoutons, même si Clyde ne l'évoque pas, que le train de vie somptueux de Tony l'avait ruiné et qu'il était au bord de la banqueroute. Quand son fils a repris en mains sa carrière il est parti de trois postulats :

  • Continuer sans changer l'approche de la musique qui ont fait de Tony un classique du Jazz vocal.
  • Aller à la rencontre d'un public jeune sans prendre pour argent comptant les assertions des compagnies de disques quant à la ringardisation inévitable des artistes âgés ( Il n'y a pas d'âge pour écouter Beethoven ! )
  • Ne pas simplement faire avec les changements technologiques du métier mais essayer de les précéder.

Si la réalisation du point 1 était la plus facile, le fils Bennett a poursuivi la réalisation du point deux systématiquement. Tournées des collèges plutôt que Las Vegas, même programmation que les Red Hot Chili peppers et surtout intense lobbying auprès de MTV qui conduira à l'apparition de Tony Bennett au MTV Unplugged en 1994, après avoir avoir été un des premiers à nourrir la chaîne de Clips.

Sur le plan de la technologie, Tony sera un des premiers dans les années 80 à abandonner le format LP ou cassette et faire la transition vers le CD avec une production adaptée ( enregistrement numérique sans transfert etc ..) puis plus tard vers le Web.

Aujourd'hui le site Internet de Tony, que vous trouverez là …http://tonybennett.com/ est un des plus remarquables et interactifs de la profession. Les ventes digitales ( Itunes notamment ) sont poussées au maximum.

Il est juste de souligner que le renouveau du genre avec des artistes comme Harry Connick Jr ou Michael Bublé, qui à mon humble avis n'arrivent pas à la cheville de la sainte trinité ;Frankie ( Sinatra ) Tony ( Bennett) Mel ( Tormé ), a aidé la carrière du survivant.

A la question «  conseil à un jeune artiste pour réussir » Danny Bennett répond : «  Y croire à 100 % et ne pas avoir le choix « .

Toute cette belle histoire m'amène à la révolution de Jazzmin. Vous avez sans doute vu que les meneurs ( qu'on appelle maintenant les « indignés du Jazz », bientôt, de glissement sémantique en glissement sémantique, ils deviendront les damnés de la terre!!) ont été reçus par le ministre de la culture qui, paraît il va se pencher sur leur cas.

Il est, ne trouvez vous pas, intéressant de comparer la démarche du jeune vieux monsieur Bennett, allant chercher le public où il est sans rien renier de son art, et celle des vieux jeunes messieurs parisiens allant cogner avec la sébile à la porte des ministères. Bon, ce que j'en dis c'est rien que pour être méchant, j'adore ça.

En récompense de m'avoir lu jusqu'ici deux cadeaux ; le clip de Tony avec Lady Gaga et celui avec Ami.

Tony Bennett ladies and gentlemen.


A bientôt chers petits amis...  

jeudi 20 octobre 2011

joe "bebop" Carroll

Bonjour petits amis, me voilà de retour de Shanghai et comme promis je reviens vous charmer de mes petites histoires insignifiantes sur de petits artistes oubliés. Un mot seulement sur Shanghai, une des villes les moins swinguantes du monde il faut bien le dire, ce d'autant que, à une semaine près j'ai raté l'unique festival de jazz chinois semble t il où se produisait notamment Mc Coy Tyner l'unique ; tant pis pour moi mais j'aurais aimé assister à la prestation de Mc coy entouré de chinois enthousiastes. Peu doué pour les récits de voyages je vous donne quand même deux infos essentielles : On dit généralement que les chinois sont à la fois jaunes et nombreux. Sur le premier point j'infirme partiellement ; même en masse ils ne sont tous comptes faits pas si jaunes que ça. Par contre sur le deuxième aspect, la nombritude comme aurait dit l'autre sur la grande muraille, ils sont de fait vachement nombreux, à tel point que j'ai renoncé assez rapidement à les compter !

Donc me voilà condamné, tel sisyphe et son damné rocher, à reprendre ce satané blog. Si vous avez un peu suivi, mais y en t ils qui suivent ? , je vous avais promis un petit papier sur Joe Carroll, le chanteur zazou. Mes promesses sont rarement suivies d'effet, je change fréquemment d'avis en chemin, c'est l'ivresse de la liberté du blog. Cette fois, de façon surprenante je vais honorer mes promesses et vous entretenir de Joe Carroll.


Comme toujours cela nécessite un large détour. Au début des années 50, son grand orchestre dissous pour des raisons financières ( et je ne laisserai personne dire que pourtant dissous c'est pas cher ) Dizzy Gillespie, showman et entertainer sous sa rude écorce de bopper, avait eu l'excellente idée de créer un label à son nom ( nommé d'après ses initiales Dee Gee ) pour enregistrer une musique à base de be bop, interprétée majoritairement par des be boppeurs, mais accessible à l'auditeur lambda grâce à un format simplifié et une bonne dose de chansons, facéties et bonne humeur.


 Si l'entreprise n'a pas recueilli le succès populaire escompté, elle nous a laissé des enregistrements de premier ordre avec la « bande à Dizzy » de l'époque où l'on retrouve ses musiciens réguliers comme le tout jeune John Coltrane, qui ne brille pas spécialement dans ces faces ( J.C à l'époque adoptait fréquemment un profil bas, il aurait confié à un camarade de pupitre : «  je me fais remarquer le moins possible, j'ai trop vu de musiciens se faire virer pour avoir voulu briller aux dépens du leader ! »), des boppeurs confirmés comme Milt Jackson, que l'on peut curieusement entendre là à l'orgue et au chant désopilant ! Le baryton Bill Graham, excellent disciple de Harry Carney, et des musiciens inattendus comme le violoniste Stuff Smith dont la personnalité un brin cocasse – il jouait paraît il à l'Onix Club avec un perroquet perché sur son épaule- et le jeu démentiel et hyper swinguant collait tout à fait à l'ambiance Gillespienne de l'époque. 


A mon humble opinion, tout ce beau monde s'inspirait largement de l'esprit qui présidait dans l'orchestre de Cab Calloway, qui fut longtemps le boss de Dizzy, bien que ces deux là se détestassent, Cab haïssait le be bop et trouvait que Dizzy jouait des notes «  chinoises ». Quant à Diz il passait une partie de son temps au pupitre à pratiquer des pitreries derrière le dos et aux dépens du chef, voire a bombarder ses petits camarades de boulettes de papier confectionnées avec les partitions. Sacré Diz !


C'est de cette époque que datent les tubes à tendance humoristiques de Diz comme Swing low sweet cadillac ...Tel le fameux Ornicar vous vous demandez dans tout ça « Mais où est donc Joe Carroll ? « . j'y viens donc. Pour son entreprise Diz avait besoin de chanteurs, il en convoqua donc quelques, et s'y colla lui même régulièrement. Pour la séance de Mars 1951, le chanteur Freedy Strong, peu remarquable, s'y colle. C'est au cours des séances d'Avril et Août 51 que, aux côtés de Melvin Moore, on commence à entendre Joe Carroll, qui officiera seul au cours des meilleures séances, celles de Octobre 51 et Juillet 52.


 C'est à ces époques que seront gravés des chefs d'oeuvre comme The Sunny side of the street ou The Bluest blues mais surtout le surréaliste Ooh-Shoo-Be-Doo-Be, manifeste gillespien et Confessin' charge ironique et merveilleusement réussie de l'art de Louis Armstrong ; ce qui vaudra à nos deux chanteurs trompettistes, si semblable au fond, d'être brouillés pendant des années ; Louis bien qu'il fut un génie avait un sens de l'humour moyen lorsqu'il s'exerçait à ses dépens !

Au cours de ces séances Joe Carroll s'affirme comme un merveilleux chanteur, capable des meilleures excentricités be bop comme d'une parfaite restitution de la manière de Satchmo. Il sera un des premiers à mettre le chanteur au centre du débat, comme on dit aujourd'hui. La mode, finissante, des bigs bands avait relégué les chanteurs, et chanteuses, au rang d'appendices de l'orchestre. C'est grâce à lui que des chanteurs "be bop" pourront mener une carrière à part entière. Mark Murphy ou Eddie Jefferson le citeront comme une de leur influence prédominante. Malheureusement pour lui, il n'obtiendra pas une reconnaissance à la hauteur de son talent.

Qu'écouter et/ou acheter de Joe me demandez vous haletants ? Outre la compil Dee Gee dont il est question ci dessus et facilement trouvable, je recommande ça :


un formidable disque de 1962 avec Grant Green à la guitare.


On le trouve aussi sur un titre ( Ool Ya Koo, tout un programme) au Carnegie Hall en 1961:


Evidemment Joe Carroll n'est plus de ce monde ; il est parti faire les choeurs derrière Dizzy, avec ses chanteurs préférés ; Babs Gonzalès ou Kenny "Pancho" Hagood ( ou « Poncho » selon certains auteurs).

En 1963, Dizzy a ré enregistré une partie des titres Dee Gee avec les double six, disque indispensable. Sur Ooh-Shoo-Be-doo, les lyrics de Mimi Perrin, amie de longue date de Diz, synthétisent la problématique : «  Toutes tes belles paroles ne veulent rien dire du Toooouuuut... »



Quelques extraits musicaux de Joe «  bebop » Carroll :



La théorie du chaos, aussi appelée par souci de vulgarisation effet papillon( le battement d'aile d'un papillon à Saint Loup sur Semouse déclenche un tsunami à Sumatra ) vient une fois de plus de se vérifier : une femme de chambre guinéenne à New York fera peut être élire François Hollande Président de la République en France. Preuve s'il en était besoin de l’intérêt des scientifiques...

A bientôt chers petits amis...