Amateurs exclusifs de Lee Konitz ou d' Albert Ayler, ne lisez pas ce papier, ce n'est pas pour vous ( je reconnais ses qualités à Lee Konitz et j'ai de l'inclination pour certains aspects de l'oeuvre d' Albert Ayler ). Nous avons tous une faiblesse pour un artiste qui ne rentre pas dans le cadre de nos goûts habituels ; avouons le sans honte. Pour ma part ma faiblesse cachée s'appelle Louis Prima. Bien sur ce nom vous dit quelque chose et le quelque chose est vraisemblablement « Just a gigolo » , auquel vous n'avez pas pu échapper . Peut être également,en vos jeunes années, avez vous vu le Livre de la Jungle de Walt Disney et vous n'avez pu vous empêcher de vous trémousser quand le roi des singes – King Louie- entraîne toute la troupe dans une swinguante sarabande infernale, sur l'air de I wanna be like you. C'est bien sur encore Louis Prima qui prête sa voix et sa trompette au personnage.
Pour ma part je devais avoir quelque chose comme seize ans quand, sans doute sur les conseils avisés d'un aîné, je me suis rendu acquéreur d'un 45 t. d'occasion dont la pochette était celle là :
C'était bien sur mes premiers contacts avec le Jazz et ils étaient du coup particulièrement jubilatoires. J'ai joué le disque sur mon pick up ( just a gigolo sur une face, Night train sur l'autre ) un nombre incalculable de fois, jusqu'à le connaître par cœur.
Je vous parle de Louis Prima car je suis en train de lire sa biographie, celle là ( assez facile à trouver mais malheureusement non traduite en français à ce jour ) :
Né en 1910 à la Nouvelle Orléans, Louis était musicalement un épigone d'un autre Louis de la cité du Croissant, Louis Armstrong évidemment. Il n'en possédait ni le génie ni l'envergure et aurait pu demeurer dans l'ombre avec les nombreux autres imitateurs de Satchmo s' il n'avait eu des qualités spéciales.
Tout d'abord Louis Prima était un génial homme de spectacle et un entertainer né. Bête de scène il passera sa vie à se produire chaque soir avec sa troupe parfaitement rodée. Véritable éponge des courants musicaux du temps il créera un style bien à lui, mixant le Jazz traditionnel de la Nouvelle Orléans, le Swing des big bands des années 40, les choeurs doo-wop, le shuffle du R&B et la gouaille italienne de ses racines siciliennes.
Le swing contagieux est le maître de mot de Prima. C'est lui par exemple qui a écrit le fameux Sing, Sing, Sing popularisé par Benny Goodman et Gene Krupa.
Pensionnaire à vie des meilleurs clubs de Las Vegas, Louis Prima s'entourera de deux personnalités complémentaires : Son épouse de l'époque la très bonne chanteuse Keely Smith qui sur scène par un comportement quasi hiératique jouait l'antithèse du perpétuel agité Louis Prima ; Et le très bon saxophoniste ténor, chef d'orchestre et arrangeur Sam Butera, suiveur d' Illinois Jacquet, et son orchestre The Witnesses.
Le bouquin n'est pas passionnant mais donne un aperçu intéressant de la vie du Las Vegas de l'époque avec l' imbrication étroite des vedettes italo américaines, Frank Sinatra, Louis Prima, Dean martin ( Dino Martino ) avec la mafia qui contrôlait tout le système. Marié cinq fois Louis Prima avait accumulé les pensions alimentaires et était obligé de maintenir un rythme effréné pour faire face à ses obligations. Tout s'arrêtera en 1975 quand, opéré d'une tumeur au cerveau, il tombera dans un coma qui durera trois ans, jusqu' à sa mort en 1978.
Une illustration musicale avec des extraits de ses nombreux passages à la télé, dont inévitablement Just a gigolo :
Un peu de Keely Smith en solo. Divorcée de notre héros Keely lui survivra ( elle doit toujours être de ce monde ) et reprendra une carrière soliste dans les années 80.
Enfin du Sam Butera comme si vous y étiez :
L'univers intemporel de Louis Prima ne pouvait manquer de susciter des vocations et, de fait, il a un héritier direct : le saxophoniste ténor et chanteur anglais Ray Gelato ( je ne sais si c'est son vrai nom mais j'en doute ). Avec sa formation les Jazz Giants, Ray depuis des décennies délivre son message de swing et de bonne humeur à travers l'Europe – Il était à Marciac cet été- . J'ai vu deux fois le lascar et son spectacle ; ce n'est évidemment pas quelque chose à écouter la tête entre les mains mais à déguster sur place, comme les bananes de Jean Paul Sartre (1).
Ray Gelato ladies and gentlemen :
A bientôt chers petits amis...
(1) Jean Paul Sartre qui avait passé une partie de sa vie à soutenir le communisme n'était pas à une idiotie près et avait déclaré : "Le Jazz c'est comme les bananes ça se déguste sur place ! "