vous l'avez deviné, celle que j'appelle familièrement et néanmoins affectueusement Anita n'est autre que la célèbre chanteuse Anita O'Day. Je crois que dans mon précédent blog j'avais déjà largement exposé mon goût immodéré pour l'oeuvre de l'immense Anita.
Laissez-moi raconter une nouvelle fois comment j'ai découvert cette merveille :
ce devait être en 1965 ou en 1966, le ciné-club de mon quartier projetait le film de Bert Stern "Jazz on a Summer day ", vraisemblablement le meilleur film consacré au jazz jamais réalisé,à propos du festival de Newport de 1958. Je dois confesser que j'ai assisté à la séance surtout en raison de la présence de Chuck Berry ; j'étais à la fin de ma période rock 'n' roll.
Bien calé dans mon fauteuil je m'apprêtais à savourer la prestation de l'ami Chuck (excellente prestation au demeurant, comme toujours avec lui, sur, je crois me souvenir, « sweet little sixteen », Chuck était accompagné par l'orchestre maison dont Joe Jones était le batteur). Dans l'attente du but de mon déplacement j'ai vu défiler des musiciens, que je connaissais de nom pour certains, dont je n'avais jamais entendu parler pour d'autres.
Quand est arrivée , claudicant sur ses hauts talons, chapeautée et gantée comme Audrey hepburn dans ses meilleurs moments, Miss Anita. L'apparence n'était déjà pas rien mais la suite allait me plaquer sur mon fauteuil.
Pour que vous puissiez imaginer, sans littérature inutile, le choc dont je vous parle plus haut, rien de mieux que le clip du film en question. Le voici, le voilà :
inutile de vous dire qu'à partir de ce moment-là je suis devenu un inconditionnel de la dame.
Le hic, car il en avait un, cela aurait été trop simple, c'est qu'à cette époque, dans mon bled ,l'idée de dégoter le moindre disque de la susnommée était un rêve inatteignable. À l'époque pas d' Internet, pas de vente en ligne,et évidemment les disquaires de ma ville de province ouvraient des yeux comme des soucoupes au simple énoncé du nom d'Anita. D'autre part mon état constamment désargenté à l'époque ne permettait pas d'envisager des recherches trop complexes.
Ce n'est que dans les années 80 que j'ai trouvé le premier microsillon disponible, une compilation de ses tout premiers enregistrements , produit intéressant mais qui ne correspondait pas tout à fait au souvenir que j'avais gardé de la prestation cinématographique. Mon état s'étant trouvé un peu moins désargenté j'ai fini par collecter, un par un, les disques d'Anita. Je crois qu'aujourd'hui je les ai tous.
Anita à une carrière particulièrement prolifique et particulièrement longue puisque malgré tous ses excès elle a vécu jusqu'à 87 ans. Partie du circuit des marathons de danse dans les années 30, dont elle était une professionnelle (vous savez comme dans « on achève bien les chevaux »), passée par le rôle peu gratifiant de « canari » (les filles qui faisaient les chœurs pour les big bands de l'époque) puis promue chanteuse à part entière chez Gene Krupa puis Stan Kenton, elle a eu ensuite une carrière solo qui a consisté pour une large part à écumer les clubs à travers les États-Unis avec son batteur john Poole, compagnon musical , initiateur et pourvoyeur d'héroïne, en utilisant les musiciens locaux.
Dans son livre autobiographique « High Times Hard Times » elle raconte par le menu sa vie d'errance puis son rebond, à partir du début des années 60, à la fois grâce au succès du clip ci-dessus et aux merveilleux enregistrements chez Verve. Malheureusement pas traduit en français à ma connaissance, le bouquin est manifestement une commande d'éditeur et la musique disparaît largement derrière une certaine complaisance vis-à-vis de la description du monde interlope dans lequel elle vivait.
Jusqu'à une période relativement récente Anita n'avait pas bonne presse de ce côté-ci de l'Atlantique. Elle s'est faite siffler à Paris avec Benny Goodman. Il est vraisemblable que sa sophistication, à la sauce américaine et le fait qu'elle ne correspondait pas aux clichés qui accompagnaient ici le musicien de jazz (forcément noir, forcément révolté contre le système etc.) sans non plus coller au créneau de la variété, n'a pas joué en sa faveur à cette époque.
Anita était magnifique. Son apparition dans le film correspond un peu à celle de la vierge devant Bernadette Soubirous à Lourdes ou à celle de Rita Hayworth dans Gilda; cela tient du miracle.
Sur le plan musical, il suffit d'écouter ses disques pour en comprendre la valeur. Avec une personnalité, un swing et une incroyable capacité à raconter une histoire elle est sans doute très proche de Frank Sinatra. C'est incontestablement une plus grande musicienne que Frankie. Elle s'est d'ailleurs toujours définie comme une musicienne vs chanteuse.
Sur le plan personnel, les extraits vidéo que nous avons nous le confirment d'une certaine manière, Elle avait une présence scénique incroyable due sans doute à un don naturel, l'habitude du travail de big bands, et un caractère de cochon. Car Anita était une teigne; plus genre nana qui chicore les mecs que douceur féminine. Elle avait semble-t-il su se faire respecter en prison et avait la dent particulièrement dure, notamment envers ses concurrentes. C'est elle qui a dit : « non Ella Fitzgerald n'est pas grosse, c'est tout son argent qu'elle met dans sa ceinture qui l' épaissit. ».
Que recommander à qui ne posséderait pas de disques d'Anita ? N'importe, ils sont tous bons. Allez, commencez par celui avec le trio d'Oscar Peterson; c'est celui qu'elle préférait je crois que moi aussi. Si vous pouvez, essayer de trouver la vidéo d'une émission qui lui avait été consacrée par la télévision japonaise en 1963. Du pur bonheur !
Vous voyez que l'on peut parler d'autre chose que de l'affaire DSK ? Fastoche !
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