"Voltaire faisait une remarque très judicieuse et, à mon sens, importante, très importante, très importante dans c'te petit domaine...Il disait, dans une certaine nation, à une certaine époque, il naît trois, quatre, cinq illuminations de caractère...Par exemple, il comptait Eschyle, Sophocle, Euripide, qui traitaient les mêmes tragédies à peu de chose près, n'est ce pas...Puis après, plus rien...Ben regardez le siécle d'Elisabeth, Marlowe, Shakespeare, Ben johnson, et pis après pft ! Fini...On tombe dans le casse graine...On tombe dans le...N'est ce pas, ça dégringole...C'est à dire qu'il n'y en a pas beaucoup, n'est ce pas, de ...Regardez les impressionnistes...Ben, il y a les impressionnistes, pis après, on a mangé de la sucée d'impressionnistes, pis maintenant, on finit dans l'abstrait, dans rien du tout n'est ce pas...ça pompe n'est ce pas...Y a ...Evidemment, un bonhomme ne peut pas faire tout le temps des preuves de passion, n'est ce pas...Au bout d'un moment, la passion est morte, y retombe et il a envie de dormir ou d'aller se reposer, n'est ce pas...Alors, c'est un peu ce qui se passe ...un bonhomme ne peut pas faire tout le temps des preuves de passion, n'est ce pas...Après on a beau agiter le morceau, n'est ce pas, pour arriver à...à dire le mot...une éjaculation, ben on ne la produit pas...voilà...L'bonhomme infiniment, se...se travaille énormément, pis y n'fait rien, parce qu'il n'a plus la puissance..."
Ce texte de 1960 n'est pas un texte écrit par Louis Ferdinand Céline, mais un entretien sur magnétophone avec l'ermite de Meudon recueilli et retranscrit par Jean Guénot. Bien qu'on s'imagine à tort que le style écrit de Céline s'apparentait au langage parlé, sa parole est fort différente de son écriture, quoique pas complètement.
Mais je ne suis pas là pour vous parler de Céline, l'homme qu'on adore haïr et l'écrivain qu'on admire, mais du Jazz. Voyez pas le rapport ? Bien sur Céline n'a jamais écrit sur le Jazz ni à propos du dit Jazz ni, à mon avis, su exactement de quoi il s'agissait . Quoi qu'il utilisât le mot parfois, essentiellement pour caractériser le style de certains écrivains américains, et, je crois, celui de Paul Morand ; ce qui n'avait guère de signification. Sans doute pour Louis Ferdinand le Jazz était une musique enjuivée qui participait du vaste complot contre l' occident chrétien, lequel d'ailleurs ne trouvait guère grâce à ses yeux non plus. Sacré Ferdine !
Non, le propos est le sens du texte lui même qui s'applique parfaitement au Jazz. Le Free Jazz, par exemple, produit des maîtres, Archie Shepp- Marion Brown- Albert Ayler- et des chefs d 'oeuvre dans la dernière partie des années 60 ( des tas de scories également ) puis plus rien ; Dans les années 70 la musique s' abâtardit complètement dans la fusion qui a été le pire que le Jazz ait donné, comme si le siècle était épuisé et, comme dit Céline, "la passion est morte". Il y a évidemment des raisons extra musicales à tout cela ; la période considérée est celle du grand remue ménage de la jeunesse baby boomeuse, de la guerre du Viet-Nam et tutti quanti. D'autres que moi ont sans doute analysé le phénomène.
Ce que dit Céline est vrai des périodes mais également de certains musiciens. Examinons le cas de Coleman Hawkins : Après ses années de tâtonnements chez Fletcher Handerson, il enregistre Body and soul en 1939 ; tout est dit. Hawkins ne changera plus sa manière qu'à la marge. Sa sonorité changera pour une raison triviale de changement de bec mais il continuera imperturbablement de faire du Body and Soul jusqu'à sa mort trente ans plus tard. "un bonhomme ne peut pas faire tout le temps des preuves de passion, n'est ce pas." nous dit Céline qui pourtant ne connaissait pas Coleman Hawkins. On pourrait multiplier les exemples : Thelonious Monk en est un autre, après quelques tentatives lui aussi, auprès de Hawkins justement, il apparaîtra dès les années 50, habillé de pied en cap du système monkien auquel il ne changera plus un iota. Ecoutez les premiers enregistrements chez Blue note et les derniers, vous comprendrez "Au bout d'un moment, la passion est morte, y retombe et il a envie de dormir ou d'aller se reposer, n'est ce pas " dit le maître avec justesse puisqu' au bout du compte Thelonious est allé se reposer, puis mourir.
Même les musiciens mineurs ou considérés comme tels n'échappent pas à cette règle . Johnny Griffin définit sa manière précisément, dès son premier disque leader, en 1956. Toute sa vie il jouera, jusqu 'à son dernier souffle musical enregistré, en 2008, d'une façon identique, restant insensible aux différents et nombreux courants, genres et expériences qu'il pourra côtoyer durant sa longue carrière.
Puisqu'on fait dans le littéraire aujourd' hui laissez moi vous recommander le dernier Paul Auster : Sunset Park que je lis en Anglais mais qui vient de sortir traduit chez Actes Sud ( à 22,80 € tout de même, vive le prix unique, vive Jack Lang ! ). Un des personnages est batteur de Jazz parce que, dit il, le Jazz est mort et ne concerne plus qu'une élite. Cela me rappelle le mot de Frank Zappa : "Jazz is not dead, it just smells funny "
Pour terminer un petit cadeau, Tony Bennett au Steve Allen Show.
Tony Bennett ladies and gentlemen:
A bientôt petits amis...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire