Nostalgie Blues
Comme tout amateur de jazz vous vous souvenez évidemment du premier concert auquel vous avez assisté, ou du premier club dans lequel vous avez pénétré.
Dans mon cas le premier concert a été en fait les deux premiers concerts puisque j'ai vu deux fois le même artiste à la suite pour le début de ma vie d'afficionado. Il s'agissait rien moins que du grand Earl Hines lui même. C'était en 1966, je n'avais pas 20 ans, et les évènements jazz dans ma ville de province étaient à peu près aussi fréquents que les éclairs d'intelligence dans les propos de Frédéric Lefebvre. C'est vous dire.
Le premier artiste programmé localement de ma vie de presque adulte était donc Earl Hines. Je ne savais de lui que ce que j'avais lu dans les livres, vous savez le fameux "piano-trompette style"- ( je n'étais toutefois pas idiot au point d'imaginer qu'il soufflait dans le piano quand même!) et j'avais du l'entendre aux côtés de Louis Armstrong dans les Hot 7. Mais à cette époque Earl ne jouait plus du tout comme ça, enfin presque plus du tout.
Le concert s'est déroulé comme dans un rêve, et cela m'a tellement emballé que Earl étant programmé quelques temps plus tard dans un bled à 100 km de chez moi, nous sommes allés, moi et quelques autres, le revoir.
La tournée était organisé par le Hot Club de France et d'ailleurs Hugues Panassié lui même accompagnait Earl, qui se produisait en piano solo, certainement pour des raisons économiques plus qu' artistiques.
Depuis cette période j'ai toujours aimé Earl Hines avec lequel je suis devenu familier et je possède sinon tous du moins beaucoup de ses disques enregistrés, dans tous les formats, le piano solo étant celui qui, à mon avis lui convenait le mieux.
Pourquoi nous parler de ça, vous impatientez vous!
Parce que figurez vous que je viens par le plus grand des hasards de trouver un disque d'un label argentin, éditant un concert enregistré par Earl le 17 Avril 1966 à Epinal, soit très peu de temps avant ou après ma découverte du Jazz vivant. Il s'agit d' un "bootleg" mais l'enregistrement d'un pianiste seul ne présentant pas de difficultés même à l'époque, le son est tout à fait correct.
Est ce conforme à mon souvenir ? Je n'en sais rien. Par exemple l'interprétation de " St Louis Blues" avec le "truc", qu'il devait refaire chaque soir vraisemblablement ( trille à la main droite pendant que la main gauche improvise avec citations ) m' avait paru beaucoup plus spectaculaire que ce que j'entends sur le disque. Etais je plus impressionnable à l'époque ou est ce que le climat ( forcément rude ) d' Epinal avait joué un rôle ? Je n'en sais rien mais je penche pour la première explication; quand on est petit, c'est bien connu, les choses paraissent plus grandes.
Je suis très content d'avoir réentendu Earl jouer, et chanter, presqu' un demi siècle après, dans les mêmes conditions que celles de mes premiers émois musicaux.
Je vous ai trouvé une vidéo du Earl à peu près à la même époque, jouant "memories of you". Vous remarquerez qu' à plus de 60 ans Earl portait toujours beau, ce qui est bien mon souvenir. Comme vous êtes attentifs, vous remarquerez aussi que Earl, coquet sans doute et atteint d'une calvitie irrémédiable, portait une perruque comme on les faisait à cette époque, c'est à dire qu'on voyait nettement qu'il avait une perruque. ..Les grands hommes ont aussi leurs petits travers.
Earl « Fatha » Hines ladies and gentlemen.
Unsung heroes
Parmi les instruments de musique peu utilisés historiquement par les musiciens de Jazz , la harpe a déjà été traitée ici , forcément magnifiquement, avec un magistral portrait de Dorothy Ashby. Continuons dans le bizarre avec le tuba.
Tout comme la harpe le tuba n’est pas étranger au jazz, notamment pour les arrangements nécessitant une masse sonore inhabituelle. Mais contrairement toutefois à la harpe, le tuba a été associé au jazz dès ses origines, quand le gros instrument jouait à la Nouvelle Orléans le rôle dévolu plus tard à la contrebasse. Sur cette dernière il possédait deux avantages compétitifs: relativement facile à transporter pendant les parades de rue, et plus facile à enregistrer quand la technologie balbutiait. Lorsque le Jazz a quitté la rue pour les clubs et que les ingénieurs du son sont (1) devenus performants, le big brass a définitivement quitté la scène. Il n’avait toutefois pas dit son dernier mot. Un jeune tubiste, Ray Draper, a réhabilité l’instrument à la fin des années 50, avant qu’ une nouvelle génération emmenée par Howard Johnson, et son ensemble de Tubas "Gravity", et par le fabuleux Bob Stewart ne prennent le relais. En France le tromboniste Marc Steckar a été un pionnier de l’ensemble de tubas- sans être toutefois à mon avis aussi convaincant que la phalange d’Howard Johnson.
Revenons à Ray Draper qui est notre "Unsung Hero" du jour. Avec le recul ses débuts sont absolument incroyables. Pensez que ce gamin, il a à peine 17 ans à l’époque, grave pour Prestige son premier disque : "Tuba Sound". Un extrait ici:
avec Mal Waldron au piano, Jackie McLean au sax et le rare trompettiste Webster Young ( un de mes futurs Unsung Heroes sans doute ). Comment est il arrivé à convaincre le patron de Prestige, Bob Weinstock, de réaliser un tel disque, en leader, sur un instrument aussi improbable que le Tuba ? Je n’en sais fichtre rien.
Je ne sais rien non plus des chiffres de vente d’un tel album mais le label le réenregistrera la même année et l’année suivante avec deux nouveaux disques, dont le prestigieux sideman sera cette fois rien moins que John Coltrane. C’est d’ailleurs certainement la raison pour laquelle ces disques ont été fréquemment réédités. Ecoutez les interpréter le "Sous le ciel de Paris":
En 1958 toujours, rappelons que ce gamin n’a que 18 ans, il intègre le petit ensemble que reconstitue Max Roach après la tragique disparition de Clifford Brown et l’exil Californien de Harold Land. Avec Oscar Pettiford à la basse, le jeune George Coleman au sax et surtout le météore Booker Little à la trompette, Max enregistrera "Deeds not words" (2) avec son quintette augmenté de Ray au tuba. L’idée est parfaite car la formule quintette be bop commence à sérieusement s’essouffler et le tuba de Ray apporte une nuance nouvelle à la palette sonore. Avec le même dispositif, un extrait du disque "Award Winning Drummer" sur le Milano de John Lewis.
Ray n’était pas un grand soliste; l’instrument ne s’y prête guère et réussir un chorus be bop au tuba c’est un peu comme essayer de gagner les présidentielles avec Ségolène Royal comme candidate. C’est possible mais pas franchement gagné…( bien que aujourd’hui Bob Stewart fasse ça parfaitement , pas les présidentielles le chorus de tuba voyons!)
Malheureusement, comme notre récent Dupree Bolton, Ray a été pris dans les filets de la drogue et il a galéré un peu partout, de la côte Est à la côte Ouest, avec semble t il, une incursion à Londres. Il ne subsiste qu’un disque, genre rock fusion, en 1968 chez Epic, que j’avoue ne pas connaître. La même année toutefois il participait à un des meilleurs enregistrements de Sonny Criss "Sonny's dream" sur des arrangements de Horace Tapscott.
Sa fin a été à la fois tragique et stupide. Sortant d’une banque où il venait d’encaisser un chèque d’avance sur une future orchestration, Ray a été braqué par une bande de jeunes africains américains en quête de cash facile. Bien qu’il eut donné l’argent il a du faire un geste inconsidéré et le chef de la bande ( 13 ans !) l’a tué à bout portant. Il n’avait que 42 ans.
Contrairement à ce que vous semblez penser je ne suis pas un adepte forcené des tranches de vie misérabilistes et la prochaine fois je m’y engage je vous causerai d’un musicien mort très vieux, couvert d’honneurs et plein aux as ( pas facile à trouver mais on verra. Je peux toujours me rabattre sur Duke Ellington).
Au revoir et à bientôt chers petits amis.
Au revoir et à bientôt chers petits amis.
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(1) son sont ? Sonson ? Sonson!
(2) "Deeds not words" signifie en gros : "pas de paroles, des actes!", je crois que je vais souffler ce slogan à François Hollande pour sa campagne. Qu’en pensez vous ?
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