J'ai un conseil pour vous :Fuyez comme la peste les gens qui tiennent absolument à vous raconter leurs rêves ou, dans mon cas, car c'est de mon cas dont il s'agit, leurs cauchemars.
Si, malgré mes conseils, vous êtes toujours là, tant pis pour vous.
La nuit dernière je rêvais mais, était ce l'effet du château Pontet Canet rosé ou du tajine fermier, le rêve s'est transformé progressivement en un cauchemar effroyable. Figurez vous qu'au moment du geste quotidien du matin, d'ouvrir mon disque dur externe comprenant mes milliers de disques, durement gagnés à la sueur de mon front et de mes recherches frénétiques : rien ! écran noir. Itunes : idem. Pas de problèmes électriques à signaler dans le secteur, accès internet impeccable, mais pas celui aux radios Jazz habituelles, même les pires comme TSF. Bref, aucun moyen alternatif d'écouter de la musique digne de ce nom ; mes vinyls me narguant depuis que je me suis débarrassé de la dernière platine .
Aussitôt le manque est apparu dans toute son horreur. Comme un alcoolique privé de sa bouteille ou un tabagique de son mégot ( ou un UMP de son Sarko ) j'errais en besoin de l'intro de « What'd I say » de Ray Charles ( qui ne connait pas l'intro de What'd I say ne connait rien!), de la clarinette ondulante comme une mouquère de Sidney Bechet dans « Egyptian Fantasy » (1) ou des premières notes du « West end Blues » de Louis Armstrong. Il ne faut d'ailleurs pas croire que le manque vient essentiellement des incipits des titres. Parfois c'est la fin la plus indispensable. Pensez à « April in Paris » de Count Basie. Qui ne s'est jamais senti trempé par les vagues successives des anches et des cuivres du Count à l'issue de ce bijou maritime ? C'est tellement bon qu'on en redemande et le capitaine Basie le sait. « One more time » et plouff, encore trempé. Et comme si ça ne suffisait pas « One more once », cette fois jusqu'aux os ( ou jusqu'aux eaux ). Tout me manquait brusquement, même Brandford Marsalis quand Jeff "Tain" Watts est aux futs, et comme je regrettais l'agile tricotage de Lucky Thompson et Oscar Pettiford sur le bien nommé « Tricotism », et les pressing rolls de maître Blakey, et les poils des avants bras qui se dressent quand Stanley Turrentine joue « Sugar » et, et , et …
A la litanie de mes regrets angoissés s'ajoutait l'impuissance propre aux cauchemars. Pas moyen d'entendre la moindre musique ; toutes mes tentatives échouaient lamentablement. Je me faisais figure de Ségolène Royale essayant de remonter la pente des sondages. Un cauchemar quoi !
Une lueur d'espoir toutefois. Au loin se profilait un magasin de disques. Vous êtes évidemment trop jeunes pour avoir connu ça, mais il existait, dans des périodes anciennes, des magasins qui vendaient des disques, avec des bacs, plein de disques justement. Comme j'étais dans un cauchemar, évidemment le sol se dérobait sous mes pieds au fur et à mesure que j'essayais de progresser vers la boutique qui elle même reculait, ou ondulait bizarrement. Après quelques minutes les choses se sont stabilisées. La boutique est devenue accessible et j'ai pu pousser le bec de cane et concomitamment la porte qui a fait « ting ! », sans que cela ne fasse lever les yeux, rivés sur un magazine télé, de la vendeuse , qui s'est d'ailleurs progressivement transformée en cochon comme le bébé d' Alice aux pays des merveilles. Mais j'étais sauvé. Les bacs de CD étaient bien là, avec un rayon « Jazz » en bonne place. Je me suis précipité, mais le bac ne contenait QUE des enregistrements de Dave Brubeck . C'en était sans doute trop car, haletant et suant comme un jeune bœuf, je me suis réveillé. Après m'être pincé très fort pour éviter de me rendormir et replonger dans l' horreur, je me suis rué vers l'ordinateur, j'ai libéré le disque dur, et cliqué au hasard sur la bibliothèque Itunes. Et alors ? Alors la voix cristalline, mutine de Rose Murphy s'est faite entendre. Le mauvais rêve était terminé et j'étais maintenant au paradis.
Pour ceux, malheureux mortels, qui ne sauraient rien de Rose « Miss Chee-Chee » Murphy, la voilà pianotant à la Fats Waller et minaudant plus qu' Anouk Aimé, ce qui n'est pas peu dire.
Rose "popopidou" Murphy, ladies and gentlemen:
Pour prouver ce que j'avance, également « April in Paris » de Basie, « Sugar » de Stanley Turrentine (et Freddie Hubbard) et « Egyptian Fantasy » de Sidney.
A bientôt chers petits amis.
- Ne rêvez pas, il n'y a pas d'erreur. Dans ce titre Sidney joue de la clarinette et point de son usuel sax soprano!
C'est bien la première fois que je ne baille pas à m'en décrocher la mâchoire à la relation d'un rêve (ou d'un cauchemar).
RépondreSupprimerEt quelle meilleure compagnie au réveil que celle de Miss "Chi-boom chi-boom" ?
(PS : m'en fiche, j'ai encore ma platine vinyls, moi)