mardi 25 octobre 2011

Cette année là...John Jenkins.

Il en est de la production jazzique comme de celle du vin, des grands millésimes et des petites années. Si on connaît précisément les éléments météorologiques qui feront une grande année vineuse, l'explication d'une grande année de musique est plus aléatoire. Quoiqu'il en soit cela ne servait que d'introduction ; je veux vous parler d'une année spéciale et extraordinaire quant à la réussite musicale, l'année 1957 évidemment.


En 1957 quelques états européens signaient le traité de Rome, les russes lançaient le Spoutnik, le gouverneur Faubus se ridiculisait dangereusement à Little Rock et Jacques Anquetil gagnait brillamment le Tour de France. Pendant ce temps aux Etats Unis d'Amérique les musiciens rivalisaient de talent dans les studios pour nous léguer quelques merveilles.

Les plus grands sont à la manœuvre : John Coltrane enregistre au moins sept disques cette année là ; dont Dakar et Lush Life. Sonny Rollins grave live le fameux At The Village Vanguard chez Blue Note. Chez Blue Note toujours Johnny Griffin en compagnie de John Coltrane et Hank Mobley nous livre la Jam Session absolue : A blowin session. Charles Mingus nous donne The Clown et Tijuana Moods. Miles Davis Miles Ahead et Relaxin. Louis Armstrong n'est pas en reste puisque avec sa commère Ella Fitzgerald il nous fait cadeau de Porgy and Bess. Quant aux maîtres du big band, le Count Basie enregistre son chef d'oeuvre E=MC2 et le Duke sa suite shakespearienne Such sweet Thunder.

Mais cela n'est qu'un aperçu facile. Les labels prestigieux – Blue Note, Riverside et Prestige notamment- tournent à plein régime et ce sont des centaines de merveilles que l'année 1957 engrangera. On dit parfois chez les amateurs : «  prenez n'importe quel disque de 1957 il est forcément bon » ce qui est sûrement excessif mais révélateur.

Au cours de cette année 1957 un musicien va apparaître , briller puis disparaître quasiment la même année comme une phalène qui aurait trop volée. Ce cas unique s'appelait John Jenkins Jr.


Pur Chicagoan formé comme Johnny Griffin ou Clifford Jordan à la dure école du Captain Walter Dyett à la DuSable High School, notre héros, tout empreint de l'héritage parkerien arrive cette année là à New York à 25 ans et joue brièvement chez Charles Mingus, excusez du peu. Immédiatement remarqué il va, au cours du Printemps et de l'été 1957, enchaîner les séances.

  • Le 14 Avril il est avec le vibraphoniste Teddy Charles pour ce que Teddy considère comme son meilleur disque Coolin'.
  • Une semaine plus tard, le 21 Avril, il participe pour Blue Note au disque de Hank Mobley Hank avec Donald Byrd à la trompette, Bobby Timmons au piano et son pote de Chicago le bassiste Wilbur Ware étonnant disciple de Paul Chambers.
  • Le 3 Mai il participe pour Prestige à un duel avec son alter ego Jackie McLean Alto Madness
  • Encore une semaine plus tard, le 10 Mai, il est aux côtés de Mal Waldron et Curtis Fuller ( pas très en forme en passant ) pour un curieux disque de Paul Quinichette. Curieux par l'entourage de PQ qui est le Lestérien par définition, environné ici de purs « modernistes ». Mais notre John Jenkins y est remarquable de flamme.
  • Au début du mois suivant, le 2 Juin il figure dans le Blue Note 1565 de Clifford Jordan, un autre chicagoan, aux côtés de Lee Morgan tp et encore Curtis Fuller, mieux inspiré ici.
  • Les beaux jours étant venus, il participe le 26 Juillet à un disque « coopératif » chez Prestige sous les noms accolés de John Jenkins/Clifford Jordan/Bobby Timmons avec encore Wilbur Ware à la basse.
  • Toute cette activité ne pouvait échapper aux grandes oreilles du patron de Blue Note, Alfred Lion qui lui fera enregistrer le 11 Août un disque en leader. Pour plus de sûreté Alfred, prudent, lui adjoindra une valeur sure de la maison comme co-leader : Kenny Burrell.


Et voilà, il n'aura dansé qu'un seul été ! Il y aura encore son chant du cygne à l'automne puisque le 18 Novembre un groupe de pur chicagoans , sous le leadership nominal de Wilbur Ware mais dont la véritable force est johnny Griffin, enregistreront un disque manifeste et remarquable The Sound of Chicago ( Junior Mance au piano ) dont notre Jenkins fera partie.

John Jenkins n'enregistrera pratiquement plus jamais, à l'exception d'un essai de come back en 1990 avec son vieux compère Clifford Jordan pour un disque que je ne connais pas sur un label obscur.

Entre temps il restera un peu dans le business de la musique, qu'il abandonnera complètement au milieu des années 60 pour subsister un temps comme garçon de course puis s'essayer à la bijouterie artisanale qu'il vendra sur les marchés ; avant de reprendre l'instrument pour jouer essentiellement au coin des rues. Il décédera en 1993 à 62 ans.

De son jeu, le dictionnaire du Jazz sous la plume de Thierry Leboff nous dit « Évidemment parkerien, il se distingue de son modèle par une sonorité plus métallique et un léger vibrato...Reconnaissable à son phrasé vif, incisif à la manière d'un McLean, il sait se montrer émouvant lorsqu'il interprète des ballades » Tout cela est bien vu mais ne nous explique pas le pourquoi de sa carrière de météorite. Nous ne le saurons vraisemblablement jamais.

Quelques extraits des disques plus haut cités :

John Jenkins ladies and gentlemen


A bientôt chers petits amis...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire