jeudi 20 octobre 2011

joe "bebop" Carroll

Bonjour petits amis, me voilà de retour de Shanghai et comme promis je reviens vous charmer de mes petites histoires insignifiantes sur de petits artistes oubliés. Un mot seulement sur Shanghai, une des villes les moins swinguantes du monde il faut bien le dire, ce d'autant que, à une semaine près j'ai raté l'unique festival de jazz chinois semble t il où se produisait notamment Mc Coy Tyner l'unique ; tant pis pour moi mais j'aurais aimé assister à la prestation de Mc coy entouré de chinois enthousiastes. Peu doué pour les récits de voyages je vous donne quand même deux infos essentielles : On dit généralement que les chinois sont à la fois jaunes et nombreux. Sur le premier point j'infirme partiellement ; même en masse ils ne sont tous comptes faits pas si jaunes que ça. Par contre sur le deuxième aspect, la nombritude comme aurait dit l'autre sur la grande muraille, ils sont de fait vachement nombreux, à tel point que j'ai renoncé assez rapidement à les compter !

Donc me voilà condamné, tel sisyphe et son damné rocher, à reprendre ce satané blog. Si vous avez un peu suivi, mais y en t ils qui suivent ? , je vous avais promis un petit papier sur Joe Carroll, le chanteur zazou. Mes promesses sont rarement suivies d'effet, je change fréquemment d'avis en chemin, c'est l'ivresse de la liberté du blog. Cette fois, de façon surprenante je vais honorer mes promesses et vous entretenir de Joe Carroll.


Comme toujours cela nécessite un large détour. Au début des années 50, son grand orchestre dissous pour des raisons financières ( et je ne laisserai personne dire que pourtant dissous c'est pas cher ) Dizzy Gillespie, showman et entertainer sous sa rude écorce de bopper, avait eu l'excellente idée de créer un label à son nom ( nommé d'après ses initiales Dee Gee ) pour enregistrer une musique à base de be bop, interprétée majoritairement par des be boppeurs, mais accessible à l'auditeur lambda grâce à un format simplifié et une bonne dose de chansons, facéties et bonne humeur.


 Si l'entreprise n'a pas recueilli le succès populaire escompté, elle nous a laissé des enregistrements de premier ordre avec la « bande à Dizzy » de l'époque où l'on retrouve ses musiciens réguliers comme le tout jeune John Coltrane, qui ne brille pas spécialement dans ces faces ( J.C à l'époque adoptait fréquemment un profil bas, il aurait confié à un camarade de pupitre : «  je me fais remarquer le moins possible, j'ai trop vu de musiciens se faire virer pour avoir voulu briller aux dépens du leader ! »), des boppeurs confirmés comme Milt Jackson, que l'on peut curieusement entendre là à l'orgue et au chant désopilant ! Le baryton Bill Graham, excellent disciple de Harry Carney, et des musiciens inattendus comme le violoniste Stuff Smith dont la personnalité un brin cocasse – il jouait paraît il à l'Onix Club avec un perroquet perché sur son épaule- et le jeu démentiel et hyper swinguant collait tout à fait à l'ambiance Gillespienne de l'époque. 


A mon humble opinion, tout ce beau monde s'inspirait largement de l'esprit qui présidait dans l'orchestre de Cab Calloway, qui fut longtemps le boss de Dizzy, bien que ces deux là se détestassent, Cab haïssait le be bop et trouvait que Dizzy jouait des notes «  chinoises ». Quant à Diz il passait une partie de son temps au pupitre à pratiquer des pitreries derrière le dos et aux dépens du chef, voire a bombarder ses petits camarades de boulettes de papier confectionnées avec les partitions. Sacré Diz !


C'est de cette époque que datent les tubes à tendance humoristiques de Diz comme Swing low sweet cadillac ...Tel le fameux Ornicar vous vous demandez dans tout ça « Mais où est donc Joe Carroll ? « . j'y viens donc. Pour son entreprise Diz avait besoin de chanteurs, il en convoqua donc quelques, et s'y colla lui même régulièrement. Pour la séance de Mars 1951, le chanteur Freedy Strong, peu remarquable, s'y colle. C'est au cours des séances d'Avril et Août 51 que, aux côtés de Melvin Moore, on commence à entendre Joe Carroll, qui officiera seul au cours des meilleures séances, celles de Octobre 51 et Juillet 52.


 C'est à ces époques que seront gravés des chefs d'oeuvre comme The Sunny side of the street ou The Bluest blues mais surtout le surréaliste Ooh-Shoo-Be-Doo-Be, manifeste gillespien et Confessin' charge ironique et merveilleusement réussie de l'art de Louis Armstrong ; ce qui vaudra à nos deux chanteurs trompettistes, si semblable au fond, d'être brouillés pendant des années ; Louis bien qu'il fut un génie avait un sens de l'humour moyen lorsqu'il s'exerçait à ses dépens !

Au cours de ces séances Joe Carroll s'affirme comme un merveilleux chanteur, capable des meilleures excentricités be bop comme d'une parfaite restitution de la manière de Satchmo. Il sera un des premiers à mettre le chanteur au centre du débat, comme on dit aujourd'hui. La mode, finissante, des bigs bands avait relégué les chanteurs, et chanteuses, au rang d'appendices de l'orchestre. C'est grâce à lui que des chanteurs "be bop" pourront mener une carrière à part entière. Mark Murphy ou Eddie Jefferson le citeront comme une de leur influence prédominante. Malheureusement pour lui, il n'obtiendra pas une reconnaissance à la hauteur de son talent.

Qu'écouter et/ou acheter de Joe me demandez vous haletants ? Outre la compil Dee Gee dont il est question ci dessus et facilement trouvable, je recommande ça :


un formidable disque de 1962 avec Grant Green à la guitare.


On le trouve aussi sur un titre ( Ool Ya Koo, tout un programme) au Carnegie Hall en 1961:


Evidemment Joe Carroll n'est plus de ce monde ; il est parti faire les choeurs derrière Dizzy, avec ses chanteurs préférés ; Babs Gonzalès ou Kenny "Pancho" Hagood ( ou « Poncho » selon certains auteurs).

En 1963, Dizzy a ré enregistré une partie des titres Dee Gee avec les double six, disque indispensable. Sur Ooh-Shoo-Be-doo, les lyrics de Mimi Perrin, amie de longue date de Diz, synthétisent la problématique : «  Toutes tes belles paroles ne veulent rien dire du Toooouuuut... »



Quelques extraits musicaux de Joe «  bebop » Carroll :



La théorie du chaos, aussi appelée par souci de vulgarisation effet papillon( le battement d'aile d'un papillon à Saint Loup sur Semouse déclenche un tsunami à Sumatra ) vient une fois de plus de se vérifier : une femme de chambre guinéenne à New York fera peut être élire François Hollande Président de la République en France. Preuve s'il en était besoin de l’intérêt des scientifiques...

A bientôt chers petits amis...

1 commentaire:

  1. Quel bonheur de te relire Gaston !

    Et quel plaisir de lire un papier sur Joe Carroll, comme si au retour de ton périple chinois, tu avais voulu me faire un petit cadeau de voyage. Oui, je sais, le rapport entre notre fou chantant et les nouveaux maitres du monde n'est pas si évident.

    A ton avis, pourquoi donc le big band de Gillespie de ces années là n'a pas rencontré le succès populaire ? C'était déjà foutu pour le jazz dans les années 50 ?

    Et une remarque sur ton lourd fardeau d'écrivain de blog. Je ne voudrai pas faire offense à ta remarquable culture, mais sais-tu donc que Camus a largement démontré que Sisyphe était heureux :

    Sisyphe trouve son bonheur dans l'accomplissement de la tâche qu'il entreprend, et non dans la signification de cette tâche.

    « Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »

    Heureux comme le lecteur que je suis à l'idée de parcourir ce blog...

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