mercredi 16 novembre 2011

A propos de Lionel

Avec mon précédent message consacré à Jonah Jones, j'abordais ce qui semble aujourd'hui un continent perdu du Jazz : le Jazz mainstream parfois appelé Middle Jazz ou swing ou Jazz classique. Hormis quelques spécialistes grognons ou monomaniaques cette séquence ne semble plus intéresser grand monde parmi les amateurs.

La période couvre grosso modo les années 30 et 40 et se poursuit dans les années 50 et 60 en parallèle avec le be bop et d'autres écoles nouvelles ; les acteurs de la période précédente étant toujours en vie.

Bien que se développant à l'intérieur d'un cycle historique marqué par la grande dépression puis la guerre, la musique se caractérise généralement par une intense joie de vivre. Louis Armstrong, Fats Waller, les bigs bands blancs de Gene Krupa ou des frères Dorsey, le big bands noirs de Jimmie Lunceford ou Count Basie, les saxophonistes Herschel Evans, Chu Berry ou Illinois Jacquet n'inclinent pas particulièrement à la morosité ou à l'introspection lugubre.

Je vous raconte tout ça, que vous savez déjà, car je viens de mettre la main sur un coffret paru chez Mosaïc consacré aux enregistrements effectués pour le label Victor entre 1937 et 1941 par les petits ensembles réunis par Lionel Hampton, qui était l'archétype du « Swing Craze » . C'est ça :



Je connaissais déjà une partie de ces enregistrements parus en vynil voilà des dizaines d'années chez RCA ; puis par la réédition chez Classic de ces chefs d'oeuvre, mais l'écoute en continu procure un plaisir et une connaissance supplémentaires.

Soyons clairs, cette production n'était pas originellement destinée aux musicologues distingués ( les musicologues sont forcément distingués ) mais au grand public, blanc ou noir compte tenu de la mixité des formations, et particulièrement aux danseurs. Sur ce point c'est totalement réussi, la majorité des titres sont pris sur un tempo dansant et d'une régularité inégalée.

La période pendant laquelle ces disques sont réalisés est hautement significative.En 1937, Lionel n'a pas 30 ans et les temps économiques difficiles commencent à s'estomper sous l'effet de la politique Rooseveltienne.En 1941, Pearl Harbour et l'entrée en guerre des Etats Unis sonnent le glas de cette courte période historique insouciante.


Le principe chez Victor était simple : on réunissait autour d' Hampton un petit orchestre de studio, c'est à dire qui n'avait pas vocation à perdurer au delà de la séance. Mais ces orchestres étaient constitués des meilleurs solistes des nombreux big bands de l'époque, noirs ou blancs -Cab Calloway avec Jonah Jones ( tiens le revoilà ) ou Cozy Cole, Count Basie, Jimmie Lunceford, Duke Ellington avec Johnny Hoges ou Cootie Williams par exemple , Benny Goodman avec notamment Charlie Christian ; le tout à l'avenant. Ajoutons des arrangements sur mesure : simples, dansants, riffés et terriblement efficaces.

Dans ce contexte les solistes de renom, des vétérans au tout jeune Dizzy Gillespie, pouvaient développer leur art sans contraintes autres que de plaire au public.

Et puis il y a le catalyseur Lionel. Tour à tour batteur déchaîné sur des caisses claires tendues presqu'au point de rupture, pianiste quasi dactylographique utilisant ses deux index comme les mailloches de son vibraphone, chanteur délicieux et plein de malice et surtout le premier vibraphoniste de l'histoire du Jazz, feu d'artifice de virtuosité.

Tout ceux qui ont vu jouer Lionel ont forcément été subjugués par son talent de musicien et d'entertainer. La dernière fois que j'ai assisté à un de ses concerts, c'était à Nice, le décalage était incroyablement frappant entre l'arrivée à tous petits pas maladifs d'un vieux monsieur revêtu d'une moumoute et son déchaînement ultérieur devant l'orchestre. Certes il ratait ici et là les baguettes lors de ses exercices de jonglerie à la batterie mais la magie était toujours là.

Sur le plan humain Lionel n'était pourtant pas un ange. Un égo démesuré et une ladrerie à toute épreuve renforcés par son manager, sa femme Gladys avec laquelle il formait un duo infernal pour ses musiciens, se conjuguait avec une tendance réactionnaire de première ( Lionel était de toutes les campagnes républicaines, notamment celles de Richard Nixon qui était son héros !..) Qu'importe Lionel on t'aime et on te pardonne tout.

Si vous vous sentez aujourd'hui maussade ou d'humeur morose, vous êtes sauvés grâce à la médecine du docteur Gaston. Courez vous procurer le coffret Mosaïc, s' il est toujours en stock ( ce qui n'est pas sur, Mosaïc édite à tirage limité ) vous disposerez de plus de cinq heures de bonheur, de remède contre la morosité et de bonne humeur. Voltaire nous apprenait qu' « il est poli d'être gai », après ma médication vous serez d'une politesse exquise !

Pour vous mettre en jambes, car je vous soupçonne férus de danses zazoues, deux extraits musicaux qui n'ont toutefois rien à voir avec la période 1937/1941.

Lionel et son big band en 1954 sur deux de ses chevaux de bataille : Vibes boogie et Flyin' home.

Une autre merveille des merveilles : Lionel et son All Stars, live au Pasadena civic auditorium en 1947. Ecoutez jusqu'au bout, laissez d'abord s'enfiler les chorus ( dont un délicieux de Slam Stewart à la basse fredonnée à l'octave ) puis, après celui du tout jeune Barney Kessel, Lionel entre en piste pour une démonstration de vibraphone qui vaut son pesant de réécoutes successives !

Lionel Hampton ladies and gentlemen



A bientôt chers petits amis...

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