samedi 19 novembre 2011

A propos d'un nouveau livre sur Norman Granz

Il existe depuis toujours un débat quasi philosophique parmi les historiens à propos des grands hommes dans l'histoire. La question est : les grands hommes ( entendu au sens neutre de leur place dans l'histoire ) ont ils « fait » l'histoire, l'ont ils influencée de façon définitive ou, au contraire, n'ont ils fait que personnifier un mouvement basé sur des forces profondes ; les évènements eussent-ils été quasiment semblables sans leur présence ? Pour illustrer le propos, l' histoire de l'Europe aurait elle été la même sans l'existence d'un petit caporal autrichien nommé Adolf Hitler ? Non évidemment, répondent les tenants de la première école, à peu de chose près la même, affirment les autres ; arguant que la nature historique a horreur du vide et qu' à la place de Hitler un autre hérault de l'hyper nationalisme allemand aurait pris sa place et le déroulement des choses n'en aurait ( malheureusement dans ce cas ) pas été fondamentalement affecté.

Plusieurs fantaisies romanesques se sont appuyées sur cette idée. Que ce serait il passé si ? Philip Roth a écrit un livre dans lequel Charles Lindbergh, l'aviateur populaire mais aussi idéologue raciste et extrêmiste, est élu président des Etats Unis. Tenant sans doute de la deuxième école, l'auteur multiplie les événements qui font qu'au bout du compte, après quelques péripéties, l'histoire fantasmée se recale sur l' histoire réelle.

Passé ce préambule alambiqué sur des théories fumeuses, on peut réfléchir à cette question à propos de l'art en général et du Jazz en particulier. Quid de l'histoire de la peinture si Cézanne n'avait pas existé ? Quid de l'histoire du Jazz si Louis Armstrong, Lester Young ou Charlie Parker n'avaient pas existé ?Le be bop par exemple avait il des racines,sociologiques, historiques et musicales telles que, de toutes façons, ce courant esthétique aurait vu le jour indépendamment de l'existence de tel ou tel artiste ?

Ce qui est vrai de l'influence des artistes l'est également des intervenants extérieurs à la création. Dans quelle mesure l'existence d' Alfred Lion , patron de la firme Blue Note, a- t- elle modifié la production du Jazz des années 50 et 60 ? La réponse est évidemment affirmative . Sans lui l'héritage du Hard bop de cette époque ne serait évidemment pas ce qu'il est.

D'autres personnages considérables ont joué un rôle dans la production de la musique telle que nous la connaissons.

Parmi eux le producteur de concerts, patron de firmes phonographiques et imprésario Norman Granz a eu une influence incontestable.



Issu d'une famille juive ukrainienne immigrée ( il a été le premier de sa famille a naître sur le sol américain ) il a inventé des concepts nouveaux qui ont modifié notre perception de la musique, bien que lui même n'en n'ait jamais joué une seule note.

Tout d'abord le JATP, Jazz at the philarmonic, du nom du Philarmonic auditorium de Los Angelès où s'est tenu le premier concert. Le principe était simple mais révolutionnaire : faire jouer ensemble en public les meilleurs musiciens du moment toutes époques et tous styles confondus. Cerise sur le gateau, Norman a enregistré ces rencontres historiques ( Lester Young et Charlie Parker/ Coleman Hawkins et Oscar Peterson ou Nat King Cole ) qui ont donné parfois le pire en cabotinage musical mais souvent le meilleur et sont un témoignage irremplaçable de ce que pouvait donner un concert sans le carcan de la durée imposée jusque là par le format 78 rpm . Un des éléments consubstantiels du Jazz, la jam session, trouvait pour la première fois son espace public.



Qui dit enregistrements dit labels et Norman en a créé plusieurs : Clef Records en 1946, puis Norgran puis un des plus célèbres  : Verve, toujours opérationnel aujourd'hui. Après avoir vendu Verve à MGM en 1960, pour une, pas si petite que ça, fortune , il créera Pablo Records qu'il vendra également en 1987 quand il se retirera des affaires.

Au fil des ans, notamment chez Pablo, se constituera une véritable « écurie » des poulains de Granz : Ella Fitzgerald dont il était également l'agent tout comme celui d' Oscar Peterson ou Zoot Sims, Joe Pass, NHOP, Roy Eldridge , Eddie Lockjaw Davis, Count Basie etc etc...



Il produira le plus célèbre film sur le Jazz «  Jammin' the blues », organisera aux Etats Unis et en Europe les plus fabuleuses tournées du JATP, offrira à Charlie Parker les meilleures conditions d'enregistrement dont l'écrin de la séance avec cordes. Au fil des années il produira, notamment pour son artiste vedette Ella Fitzgerad, des albums concepts en particulier autour de l' « American songbook »



Norman Granz n'était pas un type facile. Malgré sa fortune il avait des positions et des principes qu'on qualifierait aujourd'hui, au sens américain du terme, de « libéral de gauche ». Outre que contrairement à la plupart de ses concurrents il payait très bien les artistes, s'assurant ainsi de leur fidélité, son combat contre la ségrégation a été constant et mené avec vigueur. Il n'acceptait aucune ségrégation, ni sur scène ni dans la salle ce qui lui a valu dans l' Amérique des années 50 et 60 de nombreux combats. Son caractère opiniâtre et procédurier l'a fait craindre des racistes patentés qui avaient appris à leurs dépens que Norman n'hésitait pas à aller devant les tribunaux avec pugnacité quand il le fallait, et avec les meilleurs avocats du pays. Si vous voulez en savoir plus sur cet aspect de la personnalité de Norma Granz, un livre à ce propos vient justement de sortir, celui là : « Norman Granz – The man who used Jazz for Justice » .



Il vient de s'ajouter à ma liste de livres en attente. Je vous en reparlerai si ça vaut le coup...

A l'exception du management d' Ella, Norman s'est retiré des affaires en 1987 après la vente de Pablo Records et était devenu un collectionneur important d'art contemporain, ami de Picasso et de Miro. La vente d'une partie de sa collection en 1968 a atteint des sommes records.


norman et picasso

Dissimulant sa profonde timidité derrière un masque de dureté et de brusquerie il s'était fait quelques ennemis dont Frank Sinatra qui le haïssait et à qui il le rendait bien, mais ses rapports avec Duke Ellington ont été également un peu compliqués humainement.

Pour illustrer tout ça, une partie d'un documentaire ( vous pouvez je pense trouver la suite sur YouTube ) où l'on voit Norman vers la fin de sa vie- il a disparu en 2001 en Suisse où il s'était retiré – commenter un des plus célèbres films qu'il ait produit, avec Coleman Hawkins et Charlie Parker. Si vous vous étonnez de l'allure dissipée de nos deux gaillards, cela est du au fait qu'ils utilisent ici une technique à laquelle ils n'étaient pas accoutumés : Le Play Back.

Norman, Coleman et Charlie, ladies and gentlemen :



La prochaine fois je vous entretiendrai de Steve Grossman, si je ne change pas d'avis d'ici là...

A bientôt chers petits amis... 

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