mardi 28 juin 2011

Nanar et Dupree

Nanar sur canapé.


Laissez moi vous conter une de mes aventures: repris de boulimie cinéphilique j’ai visionné récemment un (mauvais) film de 1964 du réalisateur Richard Quine. Le titre de ce semi navet est "sex and the single girl" sorti en France à l’époque sous l’appellation "une vierge sur canapé". Imagine t on un titre pareil aujourd’hui ? Non bien sur, ce qui prouve les ravages de la bien pensance militante. Enfin ce n’est pas le sujet.


Malgré un casting éblouissant- Tony Curtis, Henry Fonda, Mel Ferrer, Lauren Baccall- particulièrement grotesque dans ce rôle- et surtout Nathalie Wood ( ah Nathalie!..) cette comédie est franchement poussive, le scénario bâclé et la réalisation plus que mollassone. Richard Quine avait été mieux inspiré dans "Paris when it sizzles"  ( "deux têtes folles"  ici ) avec William Holden et Audrey Hepburn, il est vrai que l’action était censée se dérouler à Paris et que Julien Duvivier et Henri Jeanson avaient mis la main au scénario.


Ce film présente toutefois un double intérêt: le premier est que la musique, certes un peu transparente est signée de Neal Hefti, l’arrangeur de Count Basie, en particulier du génial E=MC2. Le deuxième motif d’intérêt est la présence dans deux scènes de l’orchestre de Count Basie lui-même.


Le cocasse de la chose est que dans une des scènes, les musiciens de l’orchestre sont censés être très émus par l’action, qui se voudrait pleine d’émotion, qui se déroule devant leurs yeux. On leur a donc demandé de pleurer et vraisemblablement des moyens artificiels qu’on n’ose imaginer ont été utilisés.


Comme je ne recule devant aucun sacrifice pour parfaire votre éducation j’ai réalisé trois captures d’écran de ce chef d’œuvre où vous reconnaîtrez, ou pas, Sonny Payne le batteur pleurant, Marshall Royal (1) l’altiste sanglotant et un troisième pleurnicheur que je n’identifie pas formellement mais qui pourrait bien être Frank Foster.


 Crying the blues ladies and gentlemen.








(1) Marshall Royal était le frère de l’excellent trompettiste Ernie Royal. Mais, malgré les assertions de certains généalogistes, il n’avait aucun lien de parenté avec Ségolène Royal. 




Unsung Heroes.

Le trompettiste Dupree Bolton est un des personnages les plus énigmatiques qui soit dans l’histoire du Jazz.

Son deuxième prénom était "Bolden", comme le nom d’un autre trompettiste, des débuts de l’histoire celui là, Buddy Bolden; mythique mais jamais entendu car jamais enregistré. La carrière de Dupree n’est pas sans rappeler celle de Buddy..

Dupree Bolton n’a réellement enregistré que deux disques, comme sideman.

Le premier en 1959 à Los Angeles, est "The Fox", sous le nom de Harold Land alors californien. L’orchestre est composé de musiciens de premier plan; outre Harold et Dupree, Herbie Lewis est à la basse, Elmo Hope ( le grand Elmo Hope ) est au piano et Frank Butler ( le grand Frank Butler ) est à la batterie. Soyons définitifs pour une fois, ce disque est un réel chef d’œuvre . Grâce en partie à Elmo Hope, mais tout le monde joue très bien et on découvre un extraordinaire trompettiste. Dans la lignée fulgurante de Fats Navarro et Clifford Brown, Dupree fait un sans faute d’exubérance, goût, d’idées clairement articulées.. Un parfait classique du néo bop californien ( la black californie pas ce qu’on appelle communément la west coast ) . En voilà un extrait:



Nul doute que les auditeurs de l’époque , enfin je n’en sais rien, aient salué l’apparition d’une nouvelle étoile de la trompette. En fait l’étoile allait s’avérer une étoile filante.

Certes deux ans plus tard, Dupree Bolton faisait une nouvelle apparition discographique. Cette fois aux côtés du sax ténor Curtis Amy, toujours à Los Angelès, sur le bon disque "Katanga". Ses commensaux étaient le guitariste Ray Crawford et le pianiste  Jack Wilson ( encore lui pour ceux qui suivent ). Dupree y confirme tout le bien qu’on pouvait penser de lui.




 La suite ! la suite ! martelez vous avec insistance. C’est bien le problème; il n’y aura jamais de suite. Dupree Bolton n’enregistrera plus jamais rien bien qu’il vivra jusqu’en 1993.

Attrapé par l’héroïne dès son adolescence, très jeune trompettiste ( il a commencé la route à 14 ans chez Jay Mcshann et Buddy Johnson ) notre héros vivra la triste vie des junkies, des années de prison et sa dernière occupation avant sa mort était de jouer de la trompette pour une pièce dans les rues de san Francisco. Indigent, il ne possédait à sa mort en tout et pour tout qu’un poste de télévision et ses cendres reposent au crématorium commun de SF.

Il a participé au célèbre orchestre de la prison Saint Quentin avec Frank Morgan et Art Peeper notamment. La seule photo qu’on ait de lui à cette époque n’est pas proprement engageante:



L’historien du Jazz Ted Gioia avait retrouvé notre homme en 1989 et réussi à le faire parler mais les tentatives de nouvel enregistrement ont tourné court.

Il existe toutefois un troisième disque :



Qui reprend la bande son d’une apparition dans une émission de télévision en 1960, aux côtés de Ray Crawford et du pianiste Dolo Coker ( toujours pour ceux qui suivent ) + des titres du "Oklahoma Prison Band", prison dans laquelle Dupree avait purgé une de ses nombreuses peines.

Voici, chers petits amis, un extrait de l’émission de télé en question - Notez le propos confus du présentateur qui cherche désespérément le nom de la vedette du film "Laura" (1), on a envie de lui souffler! ):

Dupree Bolton ladies and gentlemen.



Une des nombreuses très tristes histoires humaines de l’histoire du jazz et à coup sur une énorme perte pour la musique.

A bientôt chers petits amis.
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(1) Ne perdez pas votre temps à chercher, la vedette du film "Laura" était la sublissime Gene Tierney.  Apropos de Laura, Don Byas en avait fait son cheval de bataille. A un interviewer qui lui demandait ce que lui évoquait Laura, Don Carlos répondit " une petite pute à poil sous un ciré noir" .Authentique, sacré Don. Faîtes moi penser de vous parler du personnage un jour.

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