lundi 29 août 2011

L’énigmatique Mr. Strayhorn

C’est très curieux la façon dont une chose conduit à une autre. Pour les besoins d’un petit billet ( cf précédent message ) consacré à Al Sears je réécoutais Duke Ellington en 1946 (1). Parti sur ma lancée ellingtonesque, je me suis intéressé à un disque de Billy Strayhorn, écouté jadis distraitement, celui là, où il apparait comme pianiste, chef d’orchestre et même chanteur :




L’écoute m’a conduit à conclure que Stayhorn était pour moi une énigme aussi bien musicalement que humainement.


Musicalement son travail d’arrangeur, et même de pianiste, est tellement imbriqué dans celui du Duke qu’il est très difficile de reconnaître sa part propre et surtout sa personnalité musicale telle qu’elle se serait exprimée dans un autre contexte. Suis-je clair ? Oui me dit on.


Humainement les choses sont encore plus obscures. Né dans une famille très pauvre de neuf enfants, condamné à la naissance il a survécu par miracle et a été le souffre douleur d’un père fantasque puis absent. C’est grâce à une grand-mère pianiste et à un don exceptionnel qu’il a transcendé sa condition et aurait du, si les choses avaient été différentes dans l’Amérique de l’époque, devenir un concertiste classique. Comme son cadet de quelques années Bud Powell, c’est un peu par défaut qu’il s’est retrouvé « Jazzman ».


La rencontre décisive de sa vie est celle de Duke Ellington qui, séduit par ses dons, l’engagera dès leur première rencontre. Billy avait 23 ans et ça a été un véritable coup de foudre avec le Duke dont il sera l’ami le plus proche jusqu’à la fin.


Le deuxième épisode déclencheur sera la « grève » de L’ASCAP, une sorte d’équivalent de la SACEM, à laquelle le Duke appartenait et qui, en bisbilles avec les stations de radios, avait banni la diffusion de musique par ses adhérents. Devant l’impossibilité de diffuser sa musique et de promouvoir ses disques ( et partant de payer l’orchestre ) Duke a contourné la difficulté en faisant composer nuits et jours Billy, non membre de l’ASCAP. De cette période sortiront des chefs d’œuvre dont Take the A train, qui deviendra l’indicatif de l’orchestre et un des standards ellingtoniens les plus universellement joués. On oublie généralement que , hormis Lush Life et Chelsea Bridge, beaucoup de thèmes célèbres d’Ellington ont été écrits ou Co écrits ( comme Satin Doll) par Billy. Ellington avait l’habitude de dire, en forme de boutade, « Billy fait le boulot et je me fait applaudir! »




L’énigme est l’absence de réelle carrière personnelle pour ce musicien si doué. La réponse est certainement dans sa personnalité atypique pour l’époque. Surnommé Sweet pea en raison de sa petite taille et de sa présumée ressemblance avec le bébé que Popeye avait eu avec Olive Oil (2), Billy était maladivement timide et réservé. Une autre explication est très certainement son homosexualité affichée, ce qui était très rare à l’époque particulièrement dans le milieu Africain Américain. La protection d’Ellington, grand seigneur et célèbre homme à femmes, le mettait vraisemblablement à l’abri des avanies que sa personnalité spéciale pour l’époque aurait entrainées. Mais nous sommes là sur le terrain glissant de la psychanalyse de comptoir…


Actif sur le terrain des droits civiques il sera un ami de Martin Luther King et mourra, alcoolique, en 1967 à 52 ans. En hommage le Duke composera  And his mother called him Bill .


A propos d’hommage, Joe Henderson enregistrera ça:




Est également sorti récemment un très bon disque d’hommage par le trompettiste Terell Stafford:




Dans un style néo bop, Terell est un des meilleurs trompettistes de sa génération. Sa maîtrise technique est évidente, même pour des profanes de l’embouchure (3) comme moi.

Il existe une biographie de Billy par un nommé David Hadju ( Lush Life; a biography of Billy Strayhorn ) que je viens du coup de commander. Dès que je l’ai reçue, je la lis et en reparle si ça vaut le coup!  


Take The A Train par le Duke et Lush Life par Sarah Vaughan puis, remarquablement, par Queen Latifah, ladies and gentlemen:






A bientôt petits amis...
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(1) Puisqu’on évoque 1946, une petite histoire numérologique. Il se trouve que je suis né cette année là et que Louis Armstrong était censé être né en 1900.. En 1992 j’ai acquis la réédition des ( superbes ) enregistrements de Louis de 1946. Je m’ émerveillais du hasard qui faisait que j’écoutais à 46 ans des titres enregistrés voilà 46 ans , par un monsieur de 46 ans, en 1946. Mais, patatra, nous avons appris ultérieurement que Louis n’était pas né en 1900 mais en 1901. Toute ma belle construction tombait par terre !


(2) J’ai brusquement un doute, Sweet Pea était il le fruit des amours de Popeye et d’Olive Oil ( chose à voir sans doute ) ou uniquement le rejeton de la seule Olive, ou adopté ? En effet ces personnages sont généralement asexués. Y a-t-il ici des Popeyologues ?


(3) Profane de l’embouchure a un côté insulte urbaine. J’imagine bien dans les embouteillages parisiens fuser un «  va donc hé profane de l’embouchure!! ». Ça a quand même une autre allure que tête de lard ou peau de fesses non ?

1 commentaire:

  1. "Profane de l'embouchure"... t'aurais pas pu trouver ça avant le début de la saison du touriste, non ?
    Tant pis, je me le garde sous le coude pour l'année prochaine !

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