mardi 2 août 2011

La situation du Jazz à New York

Suite des réflexions sur l’environnement économique du Jazz avec un papier de George Colligan paru le 31 juillet sur son Blog « Jazz Truth », traitant des conditions de (sur)vie actuelles pour les musiciens new yorkais. Vous pouvez le lire ici http://jazztruth.blogspot.com/2011/07/dark-side-of-beat.html en anglais; sinon, avec son aimable autorisation, je vous en ai fait une traduction ci-dessous.


George Colligan que j’avais découvert avec le Mingus Dynasty et Cassandra Wilson est un formidable pianiste dont la discographie depuis 1996 est déjà impressionnante. Je pense qu’on peut trouver facilement ses disques. Son blog est merveilleux, plein d’enseignements sur la vie actuelle des musicos américains mais aussi plein d’humour : 


The Dark Side of the Beat :


"J’ai vraiment de la chance d’avoir une réelle carrière de Jazzman. En réalité c’est plutôt incroyable. J’étais un tout jeune trompettiste classique assez nul, prêt à tout arrêter quand j’ai découvert le piano. C’était en 1989, mon loyer était de 250 $ par mois et je me faisais 220$ par semaine; du coup j’étais plus riche que je ne l’avais jamais été. Je jouais du Jazz , et encore pas très bien et je gagnais ma vie. J’ étais le roi du pétrole!

Et puis l’engagement s’est terminé. Un autre groupe est arrivé et a proposé au patron de jouer pour moins cher. C’était ma première mauvaise expérience de la musique professionnelle. J’étais déprimé mais j’avais beaucoup de contacts, donc j’ai retrouvé du boulot. Aujourd’hui si je jette un œil à mes vingt ans de carrière professionnelle, c’est toujours pareil, flux et reflux: parfois il y a du travail, parfois non. Pourtant j’ai de la chance; la plupart de mes condisciples du conservatoire ont arrêté la musique, du moins professionnellement. Les temps sont durs même pour des musiciens légendaires. L’économie craint, plafond de la dette et tout le toutime…vous voyez ce que je veux dire. 

Je suis à NYC depuis 1995 ( avec une parenthèse de deux ans à Winnipeg, voir mes précédents messages ) et la scène du Jazz a vraiment changé. Beaucoup d’endroits ont fermé ( Bradley’s, Visiones, le Mardi Gras, Le Détour, Sweet Basil’s Rhythm, pour ne citer qu’eux ). Les tournées ont ralenti: je me souviens de tournées de neuf semaines, onze semaines. Aujourd’hui trois semaines est le bout du monde. Même dix jours sont exceptionnels. De plus le public du Jazz de New York a changé. Il est passé d’un noyau de purs New-Yorkais et d’ amateurs européens et japonais à une population de touristes américains qui viennent en club avec un amour et une connaissance de la musique assez limités ( j‘ai joué au Blue Note avec Christian McBride il y a quelques temps et il racontait sur scène une anecdote relative à Roy Hargrove. Devant la salle comble il a ajouté «  Vous savez tous qui est Roy Hargrove non ? « , On aurait entendu une mouche voler…) . Si le 11 Septembre n’a rien arrangé, la hausse de la bourse qui a suivi n’a pas amené d’auditeurs nouveaux. Il semble que les patrons de fonds d’investissements préfèrent les bars à cigares au Jazz. Je me demande parfois si New York mérite toujours son titre de capitale mondiale du Jazz, bien que les musiciens ici soient plus nombreux que jamais…

Mais, au-delà des réalités économiques, ce qui me dérange plus que tout est l’absence de respect et de solidarité manifestée par ceux qui s’occupent des engagements ou par les propriétaires de club. Globalement je suis beaucoup mieux traité en Europe et au Japon, même dans les clubs. Je veux dire pas seulement par le public mais par le management, le personnel, les agents etc…Même aux Etats Unis, au-delà de New York il tend à y avoir plus de respect.  Il y a d’évidentes exceptions, Small’s par exemple mais le patron, Spike Wilner est aussi musicien et comprend les problèmes. Mais le peu de respect envers les musiciens me surprend toujours ici, à New York, la soi-disant capitale mondiale du Jazz. Peut être les choses ont elles toujours été ainsi . Vous voyez je n’ai jamais été agressé sévèrement par les flics parce que j’étais noir et que je parlais à une femme blanche à la porte du club, comme c’est arrivé à Miles Davis ( je veux dire par là: relativisons s’il vous plait…) 
J’ai entendu une histoire à propos d’un des clubs les plus connus, et pourquoi un jeune trompettiste renommé refuse désormais de s’y produire. Un soir, après la fin, le «propriétaire» de la salle a rallumé les lumières et a gueulé « vous les gars vous n’avez rien joué de bon de la soirée !». Et il s’agit d’un endroit très connu. Si on y est traité comme ça là comment peut on s’attendre à être traité ailleurs à New York ?

Je n’aime pas me plaindre , notamment parce que comme je l’ai dit j’ai beaucoup de chance, j’ai du travail, un toit sur la tête, de quoi manger, un compte en banque, une famille, une voiture d’occas., etc…Ce n’est même pas une question d’argent, mon niveau de revenus se comporte comme les pneus de ma voiture sur les routes glissantes de Winnipeg en  Janvier! Mais ce qui manque est un peu de respect et de considération.

Un seul exemple: j’ai eu une expérience récente avec le responsable musical d’un café de Greenwich Village.Je joue là depuis de nombreuses années, c’est une petite salle avec même des spectateurs debout. Il est évidemment difficile de faire de l’argent dans ces conditions. Les musiciens y jouent parce que l’ambiance est sympa et qu’ils peuvent y présenter une musique originale. Ces petits établissements sont bombardés de demandes de musiciens en quête d’un endroit pour jouer. Malheureusement ceux qui s’occupent des engagements ont parfois un réel manque de respect pour les musiciens. J’en ai été victime.

Cela fait quinze ans que je joue là, en ayant affaire à une succession de responsables généralement accommodants et sympas. Récemment les choses ont changé. Ma femme (1) et moi y avons joué en duo au printemps dernier, et le taux d’audience a été respectable sinon extraordinaire. Mais quand j’ai contacté le responsable pour envisager un autre engagement il m’a été répondu: "désolé mais les réactions de mon personnel et du barman n’ont pas été positives, à tout le moins. Votre prestation a été en dessous de la moyenne. On m’a dit que vous ne commenciez pas à l’heure, que la soirée était mal gérée et que vous ne saviez même pas de quel instrument vous alliez jouer pour le deuxième set !". 

Ce qui m’a le plus contrarié est que ce responsable m’ait jugé uniquement sur les réactions du barman et du serveur! ( c’est comme si on faisait juger le Philharmonic de New York par les ouvreuses - révérence parlé des ouvreuses…) Je voulais lui demander si son personnel était musicien ou non, mais ma femme m’a arrêté là; le ton aurait inutilement monté.

De toute façon, ce n’est pas que j’ai besoin d’y jouer pour gagner ma vie, au contraire j’essaye d’éviter ce type d’engagements de peur de rater une tournée ou un « gig » mieux payé. Donc ce que je dis n’a pas de rapport à l’argent mais au respect. Et encore cela vient d’un collègue musicien, qui se démène vraisemblablement autant que nous. Où est le sens de l’entraide ?"

Un peu d'illustration musicale, George jouant "Invitation"



A bientôt chers petits amis.
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(1)L’épouse de George Colligan est la chanteuse Kerry Politzer dont vous pouvez peut être trouver ce disque:

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