samedi 20 août 2011

Prez speaking

J’ai déjà abordé très doucement le sujet Lester Young ici mais c’est un sujet très délicat. Inutile de dire que Lester est de tous les musiciens de Jazz celui que je préfère et dont j’emmènerais les disques sur une île déserte ( à condition qu’il y ait l’électricité sur l’ île évidemment ) mais en parler n’est pas facile.


Tout comme John Coltrane ou Miles Davis, des kilomètres de littérature ont déjà été commises sur le lascar; on sait tout sur lui. Son influence sur la suite de l’histoire du Jazz et la complexité poétique  de son œuvre n’en rendent pas facile l’exégèse. Un peu comme l’Everest, qui a déjà été escaladé quelques fois mais dont on n’envisage l’ ascension qu’avec circonspection tout de même.


Pour contourner le problème, je vous retranscris une interview de Lester à Down Beat en 1949. Lester a 40 ans, en pleine possession de ses moyens il a encore 10 ans à bruler sa vie. Ecouter le président ( avec une intro du journaliste )


Le problème aujourd’hui est que beaucoup de musiciens sont de simples imitateurs. Bien sur vous devez commencer par copier quelqu’un. Vous avez un modèle, ou un professeur et vous apprenez tout ce qu’il peut vous montrer. Mais quand vous commencez à vous exprimer vous-mêmes, vous devez montrer votre individualité. Ceux qui font ça aujourd’hui se comptent sur les doigts d’une main.



C’est ce que nous dit Pres; Lester Young, un pionnier du Jazz moderne, dont les amis se trouvent dans la position bizarre de devoir le persuader d’accepter que tous les musiciens ne soient pas forcément à son niveau et, d’autre part, faire en sorte que les autres le comprennent.


« Lester Young a été si incompris, sous estimé et généralement malmené » dit l’un d’entre eux «  qu’il a été pratiquement éjecté  de la liste des grands musiciens en activité » la tendance étant de le reléguer à une figure historique.


Pas prêt à raccrocher:


« Je ne suis pas prêt pour m’arrêter » dit Lester «  Quand je le ferai, je m’installerai en Californie. j’ai une maison là bas, et j’en aime le climat. Ma mère, mon frère ( Lee le batteur et futur associé de Barry Gordy chez Tamla Motown ndt ) et ma sœur vivent là bas également. Toutefois j’aime voyager, il y a toujours quelque chose de nouveau à voir. »


Notre saxophoniste n’a pas joué souvent à Chicago. Les quatre semaines prévues, en alternance avec Sarah Vaughan, au Blue Note seront la première occasion depuis de nombreuses années pour le public de Chicago de l’entendre.  


Encore plus rare que de l’entendre jouer est de l’entendre parler de lui-même. Il a la réputation bien méritée d’être particulièrement réservé, et se sens plus à l’aise à regarder silencieusement ses pieds plutôt que de discourir. Il est réservé pour tout sauf pour souffler dans son sax.


« Mon père, William H. Young, était un musicien de foire. Il pouvait jouer de tous les instruments, bien qu’il préférât la trompette. Il enseignait également le chant et continua de voyager avec sa troupe de « Minstrels » et d’enseigner la musique jusqu’à sa mort dans les années quarante. »


« Je suis né à la Nouvelle Orléans, le 27 Aout 1909. Ma mère, Lizetta Grey, vit maintenant à Los Angelès. Je suis resté à la nouvelle Orléans jusqu’à ma dixième année quand ma sœur Irma, mon frère Lee et moi-même sommes allés vivre avec mon père. Il nous a pris avec lui à Minneapolis où nous sommes allés à l’école. Pendant la période des tournées  nous l’avons suivi avec le spectacle à travers le Kansas, Nebraska et Dakota du Sud, partout. »


La batterie


« J’ai joué de la batterie de dix à treize ans environ. J’ai arrêté parce que j’en avais assez de remballer tout le matériel. Je jetais un œil aux filles après le spectacle et, avant que j’ai tout rangé, elles étaient parties…


Pendant cinq ou six ans ensuite ( note du journaliste: n’essayez pas de vérifier les dates indiquées par Lester, ça ne coïncide jamais!)  J’ai joué de l’alto, puis du baryton quand j’ai rejoint l’orchestre de Art Bronson. ».


« J’ ai quitté mon père quand j’ai eu 18 ans. Nous étions à Salinas, Kansas et il était prévu une série de représentations au Texas et dans le Sud. Je lui ai fait savoir que je ne voulais pas descendre là bas et qu’on devrait chercher du travail plutôt dans le Nebraska, le Kansas ou l’ Iowa mais il n’a rien voulu savoir. J’étais prêt à voler de mes propres ailes.


 Art Bronson et les Bostoniens: 


J’ai joué avec eux pendant deux, trois ou quatre ans. Il vit à Denver maintenant et tous les gars de l’orchestre avait une famille; il ne voulaient pas s’éloigner de chez eux, tous sauf moi. De toute façon ce baryton était vraiment lourd…


Je suis très paresseux vous savez. Aussi quand le sax ténor nous a quittés j’ai pris sa place. Mais nous sommes restés dans le Nebraska et le Dakota du Nord. La seule fois où je suis allé dans le Sud, c’était avec Basie mais là c’était différent. »


«  Je travaillais au Nest Club de Minneapolis quand j’ai entendu l’orchestre de Basie pour la première fois. Un orchestre au Nest n’était pas n’importe lequel. Ils en changeaient toutes les semaines.  


J’avais l’habitude d’écouter l’orchestre de Basie régulièrement à la radio et je me demandais s’ils avaient besoin d’un ténor. Ils étaient alors au Reno Club de Kansas City. C’était fou, tout l’orchestre était super, sauf le sax ténor. J’ai pensé que c’était le moment propice et j’ai envoyé un télégramme à Basie. »


«  Il avait déjà entendu parler de moi. Nous nous croisions entre Minneapolis et Kansas city. Quand j’ai rejoint l’orchestre Il y avait trois cuivres, trois saxes et la rythmique. J’étais assis là toute la nuit à attendre pour jouer.


« Avec Basie c’était comme à l’école. A l’école je m’endormais, parce que je savais ma leçon et je n’avais donc rien à faire. Le maître ne s’occupait que de ceux qui n’avaient pas travaillé à la maison. Ce n’était pas mon cas donc je dormais. Le maître venait à la maison se plaindre à ma mère. J’ai laissé tomber tout ça.


Chez Basie c’était pareil, il y avait toujours quelqu’un qui ne connaissait pas sa partition. Il me semble que si un musicien ne sait pas lire à vue, il doit le dire et on doit l’aider, ou lui donner sa partition à étudier avant. Mais Basie ne faisait pas ça. Je lui en ai parlé plusieurs fois mais il n’en tenait aucun compte. Vous deviez rester assis là et jouer et rejouer le morceau encore et encore! »


Puis Fletcher Henderson


« J’ai rejoint Fletcher Henderson en 1934 à Detroit. Basie était à Little Rock alors et Henderson m’offrait plus d’argent. Basie m’a dit que je pouvais y aller.


Je suis resté avec Fletcher environ six mois. L’orchestre ne travaillait pas beaucoup. Avec Andy Kirk six mois à peu près, également. Travailler avec Kirk était merveilleux. Puis Basie à nouveau jusqu’à ce que je sois appelé à l’armée en 1944.


Qu’est-ce qui est arrivé d’autre dans cette période ? Vous voulez dire sur le plan personnel ? Non non il n’y a eu que la musique. C’est tout ce qui est arrivé.  « 



Puisqu’on vient de lire les propos de Lester vous voudriez c’est naturel entendre sa voix. Deux occasions: d’abord un morceau très rare sur lequel il chante! ( Two to Tango ), avec en bonus le faux départ.


Two to Tango ladies and gentlemen:




L’autre document est une partie de l’interview de Lester par François Postif en 1959, très peu de temps avant sa mort. Même si comme moi vous ne comprenez pas tout, compte tenu de la médiocrité de l’enregistrement et de la façon spéciale qu’a Lester de s’exprimer, ce document est particulièrement émouvant.


Lester Speaking ladies and gentlemen:




A bientôt petits amis...





1 commentaire:

  1. Ah, Lester... j'aime, j'aime, j'adore !
    Y compris sur "Two to Tango". C'est toujours intéressant je trouve d'entendre un musicien jouer de la voix, d'y retrouver son style, sa façon de découper son discours... et entendre la voix de Lester, c'est tellement touchant...

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